Eaux de pluie : et si l’on rendait les villes plus perméables ?
Depuis une vingtaine d’années, le concept de « ville-éponge » émerge. Son objectif ? Sortir d’une vision du « tout tuyau » de l’aménagement urbain pour favoriser l’infiltration de l’eau pluviale à la parcelle. Les avantages sont nombreux, alors comment faire de son territoire une ville perméable ?
À RETENIR
- Le concept émergeant de « ville-éponge » vise à favoriser l’infiltration de l’eau pluviale au niveau local pour réduire la dépendance aux systèmes de canalisation traditionnels, améliorant ainsi la gestion de l’eau et réduisant la pollution.
- Pour rendre les villes perméables, des matériaux comme les enrobés poreux, les résines drainantes et le béton poreux sont utilisés pour favoriser l’infiltration de l’eau sur les surfaces urbaines telles que les parkings, pistes cyclables et trottoirs.
- Dans des zones spécifiques comme celles au-dessus des anciennes carrières ou contaminées par la pollution, l’infiltration directe n’est pas viable; des solutions de stockage temporaire comme les toitures végétalisées et les espaces verts sur dalle sont préférées.
- Une volonté politique forte et un changement dans la conception urbaine sont nécessaires pour intégrer efficacement la gestion de l’eau pluviale dans l’aménagement urbain, comme le montre l’exemple de la ville de Douai, qui économise plus de 1 million d’euros annuellement grâce à ces pratiques.
En mai 2023, dans son guide intitulé « L’eau de pluie, une amie qui refait surface », le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) indiquait que « le tout-tuyau hérité de la pensée hygiéniste du XIXe siècle et de l’approche hydraulique de l’après-guerre » était obsolète. Un constat qui impliquait, selon le centre d’études, de repenser entièrement notre manière de traiter l’eau pluviale. En particulier en ville, où 55 % de l’eau ruisselle (contre environ 10 % en milieux naturels).
Le principe de la ville-éponge, qui absorbe l’eau au lieu de s’en débarrasser, est simple : au lieu de centraliser et d’accumuler l’eau pluviale dans des ouvrages complexes et chers à entretenir, mieux vaut favoriser la désimperméabilisation des sols et l’infiltration de l’eau sur place afin de permettre à l’eau de pluie de rejoindre directement les nappes et de poursuivre son cycle. Une manière de faire qui permet d’abord de préserver la ressource en eau. « Il n’y a de possibilité d’eau potable qu’à partir de la pluie. D’où l’intérêt de revenir au maximum au cycle naturel de l’eau », explique Jean-Jacques Hérin, de l’association pour le développement opérationnel et la promotion des techniques alternatives en matière d’eaux pluviales (Adopta). Deuxièmement, en ruisselant, l’eau de pluie se charge de polluant. Favoriser son infiltration là où elle tombe, cela veut dire favoriser une eau de pluie moins polluée, notamment par les particules fines et les métaux lourds. « Dès lors qu’un réseau dédié à l’eau de pluie existe, il y a concentration des eaux de pluie. Et dès lors qu’il y a concentration, la pollution des eaux augmente. Une eau pluviale qui a très peu ruisselé sera beaucoup moins polluée », poursuit Jean-Jacques Hérin.
Rendre la ville perméable, un changement radical de conception
Des solutions existent pour, d’une part, permettre l’infiltration de l’eau de pluie sur place dans la mesure du possible, et d’autre part, favoriser le stockage temporaire de l’eau sur place en ville pour ne pas surcharger les réseaux lorsque l’infiltration est impossible. « Si on ne peut pas végétaliser 100 % de la ville de Paris, par exemple, pour favoriser l’infiltration, des solutions existent pour rendre plus ou moins perméables toutes les surfaces urbaines : voiries, trottoirs… C’est un changement radical de la conception de la ville », explique encore Jean-Jacques Hérin. Son association, Adopta, propose aux collectivités un catalogue de revêtements perméables favorisant l’infiltration, comme des enrobés poreux à poser sur des parkings ou des voiries à faible circulation (car sujets à l’arrachement s’ils sont installés sur des voies où l’on freine ou accélère fortement), des résines drainantes, pour les pistes cyclables, ou encore du béton poreux pour les trottoirs.
En revanche, il est des cas où l’infiltration de l’eau à la parcelle n’est pas la bonne solution. C’est le cas au-dessus des anciennes carrières, ou en présence d’un site dont la pollution est connue et avérée. Il est donc nécessaire de stocker l’eau en surface en cas de fortes pluies. Les toitures végétalisées, les espaces verts sur dalle, les espaces de pratique sportive, les ronds-points, peuvent être autant de sites de micro-stockage à ciel-ouvert dans l’espace urbain. Ils peuvent remplacer la construction d’importants bassins de rétention souterrains, coûteux et monofonctionnels. Leur présence peut, en outre, rafraîchir les espaces urbains sujets à des phénomènes d’îlots de chaleur.
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À Douai, 1M€ d’économisé chaque année
« Il ne faut pas cantonner la gestion de l’eau de pluie à un problème hydrologique. C’est une problématique qui concerne le sol, le végétal, la nature en ville, le rafraîchissement urbain et d’autres services écosystémiques », note Philippe Branchu, ingénieur de recherche sol et eau au sein du Cerema. « Le prérequis indispensable pour se lancer dans un chantier de gestion alternative de l’eau pluviale, c’est une volonté politique forte », explique Frédéric Chéreau, maire de Douai. La ville a été pionnière dans la mise en place d’une gestion alternative des eaux pluviales à la fin des années quatre-vingt-dix, d’abord pour répondre à un problème d’inondations. Le bilan est aujourd’hui extrêmement positif : « nous avons diminué le volume d’eau traitée. Ce qui correspond à plus d’1 M€ économisés chaque année », estime Frédéric Chéreau.
Pour y parvenir, il faut parfois bousculer les habitudes : si le sujet est souvent porté par le service assainissement, les services urbanisme ou celui des espaces verts, les services chargés de la voirie sont parfois plus réticents. « L’approche traditionnelle de l’eau de pluie, c’est d’évacuer plus rapidement possible avec des tuyaux. Rendre la ville perméable remet en cause ce dogme. Il faut nécessairement accompagner le changement et montrer qu’il est possible », explique encore le maire. La recette du changement selon lui ? « Étudier le territoire de la commune et définir les priorités. Établir ensuite un programme prévisionnel d’investissement, et profiter des chantiers prévus de voirie pour lancer des chantiers tests afin de s’assurer que l’on sait faire avec ce nouveau logiciel de gestion des eaux. Une fois que les habitudes sont prises, que les cahiers des charges sont connus, intégrer la gestion alternative de l’eau dans les chantiers de voirie devient une nouvelle habitude », conclut Frédéric Chéreau.