Jérôme Barrier : « Non, l’avenir n’est pas que dans les grandes métropoles »
Pour lutter contre l’étalement urbain et préserver la biodiversité, le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) oblige les communes à réduire l’artificialisation de 50% d’ici 2030 et de 100% d’ici 2050, mais l’applicabilité de cette loi pose question. Est-ce un objectif réaliste ? Et si oui, sous quelles conditions ?
La France est un pays géographiquement très varié, constitué d’un territoire en « dentelle » ponctué par des métropoles très denses et des zones rurales faiblement habitées. Appliqué de la même manière partout, le ZAN risque ainsi de « vitrifier » la diagonale du vide en creusant le fossé qui sépare les villes des campagnes, et de provoquer le résultat inverse de celui qui est recherché. C’est ce que redoute Jérôme Barrier, directeur général de SEBL Grand Est et de la Saremm (Société d’aménagement et de renouvellement de l’EuroMétropole de Metz), et auteur de l’ouvrage « Réconcilier les territoires. Quel avenir pour nos villes et nos campagnes ? » paru en 2022 aux éditions Ovadia. Explications.
Quel regard portez-vous sur les objectifs de ZAN ?
Jérôme Barrier : En tant que praticien de l’aménagement du territoire, j’en viens aujourd’hui à la conclusion que le ZAN met en danger la sobriété foncière. Non seulement parce que le texte a un caractère coercitif et univoque, mais aussi parce qu’il est non applicable du fait qu’il n’opère aucune distinction entre les différents types de territoires. Par ailleurs, le calendrier est beaucoup trop serré, et l’application « top down » de cette loi ne permet pas aux élus locaux d’avoir un impact sur sa mise en œuvre. C’est du centralisme à la française.
Vous avez notamment déclaré que ce texte était « caricaturalement technocratique » … Qu’entendez-vous par là ?
Jérôme Barrier : Cette loi intervient alors qu’on n’en a plus le besoin. Elle a été prise sur des fondements idéologiques. Il faut savoir qu’en France, la surface disponible par habitant est beaucoup plus importante que dans d’autres pays, notamment ceux avec lesquels nous nous comparons. L’Allemagne, par exemple, est trois fois plus dense que nous. Par ailleurs, nous faisons partie des pays européens les plus vertueux en matière de consommation foncière. Selon les chiffres d’Eurostat, nous avons artificialisé 2,3 % des terres, contre 19,9% pour la Grèce. Les praticiens ont pris des dispositions pour lutter contre l’expansion urbaine sauvage. Enfin, la France est le seul pays qui applique une réglementation aussi contraignante, ce qui dégrade la relation des gens à la sobriété foncière. Il y a des levées de boucliers. Du coup, on accorde aux communes un hectare de consommation foncière, ce qui fait repartir l’artificialisation à la hausse. C’est absurde.
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Au regard des enjeux climatiques, l’extension des villes, même si elle est aujourd’hui moins importante, pose cependant problème…
Jérôme Barrier : Assurément. Mais je pense que compte tenu de son caractère univoque, le ZAN va provoquer l’effet inverse et accélérer l’étalement urbain. Parce que ce sera toujours plus facile de concentrer des logements et des infrastructures dans les villes que d’aller s’installer en milieu rural, notamment parce que le ZAN est beaucoup plus contraignant à la campagne. Nous avions pour avantage concurrentiel d’avoir énormément d’espace disponible, mais maintenant que nous avons figé le territoire, c’est fini. Les endroits qui ne sont pas développés sont condamnés à végéter. Cette loi s’appuie sur des considérations vertueuses, ce qui fait qu’on accepte le comment sans se poser la question du pourquoi. C’est une erreur.
Les objectifs du ZAN seraient donc déconnectés de la réalité ?
Jérôme Barrier : Oui, tout à fait. Ils relèvent en partie d’un impensé de la campagne. Les lois sont élaborées par des gens qui vivent dans les villes et pour qui habiter en dehors d’une métropole est inimaginable. Il y a un autre danger qui est celui de l’apparition d’une bulle spéculative créée par la rareté foncière. Aujourd’hui, en tant que premier opérateur de reconversion des friches sur la région Grand Est, nous constatons que toutes les friches exploitables ont déjà été acquises par des groupes privés. Cela pose une question fondamentale…. Si l’on considère que le foncier est un sujet stratégique pour l’avenir de l’humanité, alors il faut considérer que c’est un bien commun. Or, les collectivités ne savent pas se rendre maître du foncier déjà artificialisé et disponible, et ne peuvent donc pas en profiter. Elles devraient pouvoir faire valoir que tel terrain est vital pour l’avenir de la collectivité et doit leur revenir.
Dès lors, que faudrait-il changer dans le cadre juridique actuel pour que cette loi aille dans la bonne direction ?
Jérôme Barrier : La mise en place d’un droit de préemption foncier est essentielle, sans quoi il faut s’attendre à des conséquences dramatiques pour le logement. En outre, la logique coercitive du ZAN va se heurter à la réindustrialisation. Quand une grande entreprise voudra s’implanter en France, il n’y aura plus d’expansion foncière, ce qui rendra le processus très compliqué.
Quel est le sentiment des élus ?
Jérôme Barrier : Les élus sont les premiers à voir les contraintes qui vont se présenter à eux. Ils vont être obligés de rendre une partie des terrains qui étaient jusque-là constructibles. Ils constatent également le renchérissement du foncier. Ils considèrent qu’ils sont la 5ème roue du carrosse car ils doivent appliquer un texte qui a été décidé sans eux. Par ailleurs, les associations de défense de l’environnement, dont le combat est légitime, ont désormais une nouvelle arme pour s’opposer aux nouveaux projets de développement, même ceux qui ont fait l’objet d’une concertation préalable et qui ont passé toutes les étapes de validation.
Pour conclure, que faudrait-il faire pour réconcilier les territoires ?
Jérôme Barrier : Depuis très longtemps, nous avons oublié que les campagnes existaient. Or, le rural et l’urbain sont utiles l’un à l’autre et ont intérêt à fonctionner ensemble. C’est ce que j’appelle la géo-symbiose. Pour changer la donne, il faudrait revenir à une politique du territoire telle qu’elle existait à l’époque de la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) et arrêter de considérer que l’avenir radieux de l’humanité n’existe que dans les grandes métropoles. C’est ce que le gouvernement essaie de proposer avec les programmes Cœur de Ville et Petite ville de demain, mais ce n’est pas suffisant. Il faut urgemment donner aux collectivités les moyens d’avoir accès à l’ingénierie foncière et de faire face aux problématiques générées par la loi ZAN.