Quelles solutions pour lutter et prévenir le bruit dans la ville ?
Si le bruit est une notion subjective et que sa perception en termes de nuisance reste variable selon les situations et les individus, l’impact sanitaire et social de la pollution sonore n’est plus à démontrer.
Une étude présentée en 2016 au Conseil national du bruit (CNB), a évalué à plus de 57 milliards d’euros par an le coût social du bruit en France. L’étude copilotée par l’ADEME et le CNB et réalisée par le cabinet E&Y a révélé que plus de 25 millions de personnes en France étaient affectées par le bruit des transports, dont 9 millions exposés à des niveaux critiques pour leur santé. L’exposition au bruit en milieu professionnel, en milieu scolaire, et les bruits de voisinage sont également responsables des coûts estimés.
Le coût exorbitant du bruit
Les 57 milliards se décomposent en 4 principales rubriques.
- Celle des transports pour 20,6 milliards d’euros par an, en ne prenant en compte que l’exposition des personnes à leur domicile (avec des impacts en matière de troubles du sommeil, de gêne, de risques cardiovasculaires accrus, de décotes immobilières, de pertes de productivité et de troubles de l’apprentissage).
- Puis celle du milieu professionnel pour 19,2 milliards d’euros par an. Près de 2/3 des Français subissent le bruit dans ce cadre avec des conséquences qui vont de la surdité professionnelle à l’accident du travail, sans oublier la perte de productivité qui compte pour 18 milliards d’euros par an.
- Troisième poste, les bruits de voisinage dont l’impact est évalué à 11,5 milliards d’euros par an, en considérant la gêne, les troubles du sommeil et les autres impacts sanitaires pour les individus exposés, sans y intégrer la perte de valeur immobilière. Les nuisances sonores du voisinage peuvent également provoquer incivilités et conflictualité.
- Enfin, dernier sur la liste, les bruits en milieu scolaire responsables de troubles d’apprentissage et du décrochage scolaire dont les conséquences sont chiffrées à 6,3 milliards d’euros par an.
Depuis, communément appelée Directive « Bruit », la Directive européenne 2002/49/CE a été adoptée le 25 juin 2002. Elle établit une approche commune destinée à éviter, prévenir ou réduire l’exposition au bruit dans l’environnement. Dans le même temps, se développent toutes sortes de mesures d’atténuation du bruit : revêtements routiers acoustiques, murs anti-bruit, isolement de façade, traitement acoustique des bâtiments scolaires, d’habitation ou de santé…
Un Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement à réaliser avant juillet 2024
Après avoir établi un diagnostic territorial des nuisances sonores basé sur une Carte de Bruit Stratégique (CBS), les collectivités concernées par la directive doivent réaliser leurs Plans de Prévention du Bruit dans l’Environnement (PPBE) avant le 18 juillet 2024.
Cette directive européenne identifie quatre types de structures provoquant une forte exposition au bruit à leur abord : les voies routières et ferroviaires, les agglomérations et les aéroports. La CBS permet d’identifier les zones soumises à une forte exposition au bruit, dont les riverains doivent être protégés mais aussi d’identifier des zones de calme afin de les sauvegarder.
Sur la base du diagnostic territorial des nuisances sonores, les autorités compétentes doivent proposer des mesures d’évitement, de prévention ou de réduction des nuisances sonores. Ces mesures sont détaillées dans un Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement (PPBE) recensant les actions à mettre en place localement pour protéger les zones à enjeux (dépassement des seuils de bruit, protection de zones de calme) préalablement identifiées.
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« Une ville bruyante est une ville immature »
En intégrant des acousticiens à ses projets d’urbanisme après avoir édité un guide du bruit à destination des habitants, la ville de Courbevoie a décidé d’appliquer de nouvelles pratiques en matière d’aménagement urbain.
« Une ville bruyante est une ville immature. Jusqu’à présent, l’aménagement de l’espace public n’utilisait qu’un seul sens : la vue. On va tendre vers des aménagements plus sophistiqués intégrant l’ouïe pour prendre en compte les enjeux de santé » explique Olivier Texier, directeur général des services techniques et de l’urbanisme de la ville. Il poursuit : « Nous avons deux leviers en matière de bruit : agir sur le niveau sonore lui-même, avec des choix de revêtements et de mobilier urbain qui coupent la propagation du bruit. Et agir sur ce qu’on appelle l’ambiance, qui est le ressenti humain. On sait par exemple que la verdure ou une fontaine atténuent le ressenti du bruit. »
À Paris, le test de trois formules d’enrobés et d’asphaltes phoniques et thermiques permettant d’améliorer le confort des usagers a débuté en juillet 2017 et s’est achevé en juin 2023. Les évaluations vont se poursuivre jusqu’en 2027 pour ce projet « LIFE Cool & Low Noise Asphalt ». Trois sites ont été choisis – rue de Courcelles dans le 8e arrondissement, rue Frémicourt et rue Lecourbe dans le 15e – selon les critères suivants : une forte densité de population, un niveau sonore supérieur à 68 dB(A) pour l’indicateur Lden, une exposition au soleil importante, une absence de végétation et une vitesse de circulation jusqu’à 50 km/h.
Sur chaque rue ont été posés 200 mètres de revêtement innovant et 200 mètres de revêtement de référence (traditionnel neuf) pour permettre leur comparaison. Ces enrobés innovants et résistants ont un faible surcoût de production pour la collectivité, inférieur à 10 %. Près de 60% du coût de l’expérimentation évaluée à 2,3 millions d’euros sont issus du programme de financement européen LIFE.
Les résultats montrent une diminution sensible des niveaux sonores la nuit, lorsque la circulation correspond aux passages de véhicules isolés avec une vitesse de circulation plus élevée et que les autres sources de bruit en présence sont réduites (travaux, activité humaine, etc.). Rue Frémicourt, 63 % des personnes interrogées ont ainsi noté une diminution du bruit routier.
Les solutions pour prévenir le bruit dans la ville et lutter contre les nuisances sonores sont de plus en plus nombreuses et leurs coûts de plus en plus maîtrisés. Si le but de ces opérations anti-bruit est d’améliorer le bien-être des habitants en diminuant la pollution sonore, elles s’inscrivent idéalement dans les enjeux d’adaptation aux risques climatiques puisqu’elles atténuent les effets des îlots de chaleur urbains par exemple.
Avec ces solutions innovantes de revêtement routier qui présentent des propriétés phoniques et thermiques supérieures à celles des bétons bitumineux classiques, avec ces idées de réaménagement qui coupent la course du bruit et ces actions directes sur le niveau sonore et le ressenti humain, la ville prend ses responsabilités. Après avoir privilégié la vue, elle avance à l’oreille.