Crise du logement : comment font les autres pays ?
La crise du logement est une réalité qui touche la France mais aussi de nombreux pays d’Europe. En Espagne, au Portugal, en Allemagne des solutions émergent pour favoriser la construction, produire du logement social ou encore réguler les logements touristiques. Et au-delà de l’Atlantique ? Nous sommes aussi allés voir les réponses apportées par YIMBY Action, une association favorable à la construction de logements urbains à San Francisco et dans toutes les grandes villes des États-Unis.
L’urgence est là : crise de la construction (24 400 logements de moins qu’au cours des douze mois précédents autorisés à la construction entre mars 2022 et février 2023), doublement des prix des logements en 20 ans, hausse des taux d’intérêt, manque de logements sociaux avec plus de de 2,4 millions de demandeurs, soit une hausse de 7 % par rapport à 2021…
Un budget logement qui ne cesse de croître
Cette situation critique n’est pas l’apanage de l’Hexagone. À l’échelle européenne, les prix de vente de l’immobilier ont augmenté en moyenne de 40 %* entre 2015 et 2021. Comparé à 2010, les prix de l’immobilier n’ont baissé que dans trois États membres du sud de l’UE : l’Italie, l’Espagne et Chypre. Des différences existent bien sûr entre les 27 pays de l’UE. Ainsi à Prague, Bratislava et Paris, il faut économiser en moyenne 20 années de salaires pour acquérir un appartement. Dix ans pour Oslo et Rome, et moins de dix ans pour Dublin, Bruxelles et Nicosie. En Espagne et au Portugal, la part des revenus consacrés au logement augmente d’année en année. « L’Espagne est le quatrième pays d’Europe où les familles doivent consacrer le plus d’argent au paiement de leur logement », a rappelé Pedro Sanchez, le chef du gouvernement, le 17 avril dernier. Et pour les jeunes quitter le domicile familial est un véritable défi. Ils sont d’ailleurs 46 % entre 25 et 34 ans à vivre encore chez leurs parents en Espagne et même 56 % au Portugal. Dans ce pays, selon l’office européen des statistiques Eurostat, le prix d’achat des logements a bondi de plus de 75 % entre 2010 et 2022, tandis que les loyers ont augmenté de près de 25 %.
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Quelles solutions face à la crise du logement ?
Face à cette situation, le gouvernement espagnol a annoncé un plan de 4 milliards d’euros visant à financer la construction de 43 000 logements à loyer modéré. Par ailleurs 20 000 logements appartenant à la Sareb, l’organisme public créé en 2013 pour absorber des milliers d’actifs toxiques saisis par les banques à la suite de la crise financière et immobilière de 2008, pourront être vendus aux régions ou aux communes, en tant qu’habitat social. 14 000 logements habités par des ménages en difficultés financières pourront bénéficier de loyers modérés. Par ailleurs, 15 000 seront construits sur des terrains cédés par l’administration. L’ensemble de ces mesures doit permettre à l’Espagne de passer de 2,5 % de logements sociaux à 20 %. Les promoteurs immobiliers auront l’obligation d’inclure 40 % de logements sociaux dans les opérations de construction neuve. Au Portugal aussi, des investissements à hauteur de 900 millions d’euros ont été décidés par le gouvernement, en mars 2023. Le pays entend réguler les logements touristiques par l’interdiction d’en créer de nouveau (sauf pour les zones rurales), rendre des logements abordables par le biais de coopératives, plafonner les loyers ou obliger les propriétaires de logements vides depuis plus de deux ans, situés dans des zones denses, à les mettre en location. Pour freiner la spéculation immobilière, la fin des visas dorés, des permis de séjour accordés à des riches investisseurs étrangers, a aussi été acté. Des aides sont aussi mobilisées pour aider les ménages en cas de hausse des loyers ou d’impossibilité de remboursement de prêt.
Outre-Rhin, la crise du logement est aussi à l’œuvre. Face à la baisse du nombre de logements construits les professionnels du secteur ont appelé l’État à l’aide. En effet, l’Allemagne est confrontée à une hausse des coûts de construction (+ 36 % en trois ans) qui a stoppé la construction de près de 900 000 logements. La hausse des taux d’intérêt, les problèmes d’approvisionnement en matière première mais aussi la crise énergétique et une main-d’œuvre plus rare, sont autant de facteurs qui ralentissent l’activité. 280 000 logements ont été construits en 2023, alors que l’objectif était de 400 000, dont 100 000 d’habitat social. Les professionnels estiment qu’il manque 700 000 logements.
*Données Eurostat
Interview de Laura Foote, directrice de YIMBY Action, association de promotion de la construction de logements urbains.
Au départ groupe de défense du logement à San Francisco, une des villes les plus chères des États-Unis, l’association intervient aujourd’hui dans de nombreuses villes américaines. Ses bénévoles plaident auprès d’élus pour la construction de plus de logements afin de réduire la spéculation et en favoriser l’accès au plus grand nombre. Pour l’association, plus de logements abordables permet de réduire la pauvreté, de mettre fin à l’itinérance, d’éliminer la ségrégation raciale et de créer des emplois. La proximité entre le travail et l’habitat a aussi un impact sur les émissions de CO2.
Que doivent faire les États-Unis pour construire plus de logements ? Quels sont les acteurs qui peuvent changer la donne ?
Nous accordons beaucoup de « contrôle local » au logement. Cela signifie que même si une région entière connaît une pénurie, si les personnes qui vivent à proximité n’en veulent pas, il est peu probable que la construction de nouveaux logements puisse se faire. Bien sûr, les habitants peuvent souffrir du manque d’enseignants ou de l’augmentation des trajets pour aller travailler, mais ils ont peur de l’impact qu’un nouveau bâtiment pourrait avoir sur la circulation en ville ou sur le « caractère du quartier ». Une expression résume bien ces faits, «NIMBY », qu’on peut traduire en Français par « Pas dans ma cour ! ». Alors notre association s’appelle Yimby action, pour « Yes in My Backyard » ! Cela reste très difficile de faire évoluer la dynamique politique sous-jacente et le cadre juridique. Aux États-Unis, les maires pro logement sont aussi freinés car l’habitat doit être soumis à une commission de planification ou à un comité d’examen de la conception ou encore à d’autres commissions désignées, très peu enclins à construire des logements. Le processus de prise de décision doit évoluer et nous avons souvent besoin de lois étatiques contre les juridictions locales.
Concrètement quels sont vos champs d’actions ?
Nous formons des citoyens pour que la société dans son ensemble puisse se transformer. En Californie, nous avons réussi à faire changer deux lois de l’État (ADU de Californie et la loi State Density Bonus) afin qu’elles prévalent aux éventuelles lois mises en place par des municipalités qui voudraient brider la construction de logements. De plus, le Californie peut désormais instituer un cadre qui dit que « les villes doivent autoriser le logement », ce qui les oblige à modifier leur processus de zonage et d’autorisation. Cela fait partie de nos plus grands succès. Les syndicats et les associations professionnelles soutiennent souvent les politiques favorables au logement car la pénurie entraine aussi un manque de main-d’œuvre.
Quel impact votre action a-telle dans la société américaine ?
Il nous reste un long chemin à parcourir. Mais selon le New York Times, l’effort naissant pour encourager la construction de maisons dans les régions chères « peut être l’un des mouvements les plus importants de la politique américaine aujourd’hui. » C’est encourageant.