“La ville est un projet de société”
Comment faire la ville sur la ville ? Après un an d’expérimentation à Marseille de la Charte de la ville durable, les premiers bilans sont très positifs. L’occasion pour Mathilde Chaboche d’exprimer une vision partagée d’une ville plus verte, plus dense et plus agréable à vivre pour toutes et tous.
Adjointe au Maire de Marseille en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville, Mathilde Chaboche est sociologue et urbaniste. Marquée par les effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne en novembre 2018, elle crée alors avec d’autres un collectif citoyen qui deviendra le socle du Printemps Marseillais. À la suite de la victoire aux dernières élections municipales, elle prend alors en charge les enjeux d’urbanisme, “une manière de mettre [ses] compétences au service de la fabrique de la ville”.
Quelle est la vision de la ville durable à Marseille ?
Mathilde Chaboche : Marseille est une ville symbole de l’étalement urbain : 240 km², soit cinq fois la taille de Lyon, malgré une très faible densité. La ville s’est construite par opportunités et non pas de manière pensée, coincée entre le littoral d’un côté et les massifs de l’autre. Nous devons donc reconcentrer la ville sur elle-même, c’est-à-dire construire la ville sur la ville, en maximisant la densification près des axes de transports en commun et en réhabilitant le centre-ville qui est très dégradé. Chaque mois, entre 15 et 20 immeubles d’habitation sont évacués ! Nous devons enrayer ce cycle infernal et massifier la production de logements dans ce qui constitue un gisement foncier extrêmement puissant. Avec 40 000 logements vacants, c’est un potentiel d’accueil de population supplémentaire.
Comment s’articule concrètement la stratégie de Marseille en matière d’urbanisme ?
Mathilde Chaboche : Nous voyons de plus en plus de projets de surélévation en centre-ville, de réhabilitation d’immeubles vacants, par des bailleurs sociaux mais aussi par des promoteurs – j’en profite pour saluer les efforts de la profession lorsqu’ils sont au rendez-vous. De notre côté, nous instruisons 10 000 demandes par an et nous déclinons cette vision opérationnelle dans nos documents de planification, par exemple en modifiant le PLUI sur la suppression de l’obligation de créer des places de parking pour les projets de réhabilitation ou, demain, sur le seuil de mixité sociale. Actuellement, le parc social est très concentré dans les quartiers nord de Marseille, dans des conditions parfois indignes. L’abaissement du seuil va permettre de mieux répartir le logement social dans tout Marseille. La ville est un projet de société. La rénovation urbaine doit poursuivre un objectif de mixité sociale. En parallèle, il est fondamental que nous investissions sur l’accompagnement social, l’éducation et l’emploi qui sont les conditions de l’équité et de l’émancipation sociale.
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Comment articuler la ville avec la voiture qui occupe une place prépondérante ?
Mathilde Chaboche : Nous sommes en quelque sorte condamnés à la voiture à moyen terme, car Marseille souffre d’un fort étalement urbain et d’un faible réseau de transports en commun. Il faut d’abord ramener les actifs autour des axes de transports en commun, où la ville du quart d’heure peut devenir une réalité. Ensuite, nous souhaitons créer de la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire mettre du logement dans les quartiers d’affaires, et inversement ramener des emplois dans les quartiers résidentiels. Nous soutenons vivement les projets de créations de bureaux et d’économie productive en centre-ville. Enfin, le sujet de la réversibilité des bâtiments m’anime, car il s’agit d’une déclinaison concrète des enjeux de la sobriété foncière. La voiture est un mal contemporain pour lequel nous devons construire des parkings silo en superstructure poteaux-poutres. Mais demain, nous devons être capables de rendre modulables ces parkings ou ces immeubles de bureaux afin de leur donner un nouvel usage. Cela donne des projets novateurs, avec des rez-de-chaussée animés par des commerces ou des crèches, et même des toits avec des équipements sportifs.
Justement, vous revendiquez un “droit au ciel” pour les Marseillais, pour rendre de la surface utile aux riverains. Mais comment ?
Mathilde Chaboche : Il s’agit d’une obligation symbolique dans notre charte de la construction durable. Au plus simple, il s’agit d’apporter une utilité à la toiture terrasse, par exemple avec de la végétalisation ou un équipement solaire photovoltaïque. Mais on a une demande très forte des usagers des bâtiments, entreprises ou habitants pour un meilleur accès aux toits. À Marseille, notre topographie fait qu’au sol on ne voit pas grand-chose, mais dès qu’on monte un peu, on peut voir la mer ou les collines de presque partout, et chacun peut alors se saisir de la beauté de la ville qui est notre trésor. Il y a un enjeu démocratique à ce que chacun puisse accéder à ce bien commun qu’est notre ciel.
Marseille est une ville peu végétalisée, comment y remédiez-vous ?
Mathilde Chaboche : En effet, Marseille est une ville très grise qui a perdu 50 % de ses arbres ces 75 dernières années. Ma volonté est de mettre des “pouces verts” partout, comme Tistou, végétaliser tout le temps et de manière systématique. En termes d’échelle d’espaces verts à Marseille, nous avons bien sûr le parc des Calanques, merveilleux mais assez loin de tout. Ensuite en ville, nous avons plusieurs parcs monumentaux, donc pas près de toutes et tous. Et enfin, nous avons cruellement besoin d’un maillage de petits squares, qui contribuent activement au mieux-être collectif à l’échelle d’un quartier. Or nous en avions peu, dont la plupart étaient fermés et en plus très minéraux… Pour huit de ces squares, nous avons décidé d’engager les travaux en débitumant et en plantant le plus d’arbres possible. Nous végétalisons massivement les espaces publics et les cours d’école, avec ici l’objectif de les rendre ouverts à toutes et tous en dehors des temps scolaires. Nous sommes en retard, donc nous devons aller plus loin et plus vite.