Agrocités et agriculture urbaine : mirage ou réponse aux besoins essentiels des urbains ?
Malgré ses rendements très élevés, l’agriculture urbaine ne permettra sans doute pas, dans un avenir prévisible, de subvenir aux besoins alimentaires des habitants des grandes villes. Son apport sur le plan social et environnemental n’en est pourtant pas moins important.
Développer une activité d’agriculture urbaine dans le cadre de la future Agrocité Gagarine-Truillot, en plein cœur d’Ivry-sur-Seine : c’est le pari que devra relever l’Établissement public d’aménagement Orly Rungis-Seine Amont (EPA Orsa). L’aménageur a lancé en janvier dernier un appel à manifestation d’intérêt (AMI) afin d’identifier le ou les opérateurs susceptibles de porter un tel projet sur 2,3 hectares dans le futur écoquartier. Objectif affiché : nourrir les habitants dans une logique de circuits courts.
Agriculture urbaine, horticulture… De quoi parle-t-on ?
Certains observateurs n’ont pas manqué de relever le caractère irréaliste d’une telle promesse. Jean-Marc Jancovici, dans un post publié sur LinkedIn, a ainsi estimé qu’au vu des surfaces prévues, et des rendements constatés à travers le monde, un tel espace ne pouvait avoir « qu’une vertu pédagogique et récréative », et qu’une agrocité ne pouvait finalement être « qu’une cité ordinaire avec une appellation vendeuse ».
Mauvais procès ? Pour Pierre Darmet, des Jardins de Gally, entreprise pionnière en matière d’agriculture urbaine et de nature en ville, « il est toujours risqué, quand on parle d’agriculture urbaine, d’utiliser des néologismes comme celui d’agrocité, surtout si on l’associe à des promesses peu réalistes comme celle, par exemple, de subvenir aux besoins alimentaires des habitants. Il existe d’ailleurs en français un mot tout trouvé pour parler d’agriculture urbaine, celui d’horticulture ».
En effet, à la différence de l’agriculteur (du latin « ager » : le champ), qui cultive de grandes surfaces éloignées des habitations, l’horticulteur travaille de petites surfaces accolées aux lieux de vie (le latin « hortus » désigne le jardin). Ses productions ont des rendements très élevés, beaucoup plus élevés que ceux de l’agriculteur, car il exploite tous les recoins de l’espace restreint dont il dispose, et bénéficie de plus des déchets organiques de la communauté humaine et animale vivant à proximité.
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Le mythe de l’autosuffisance alimentaire
Paris a eu une longue tradition d’horticulture, avec notamment, jusque dans les années 1950, une ceinture maraîchère qui permettait une abondante production de pommes et de poires. La densification du bâti a conduit à repousser toujours plus loin cette ceinture maraîchère, et rendu Paris, comme toutes les grandes villes, dépendante de la grande distribution et des chaînes logistiques. Il est donc devenu impossible, du fait du déséquilibre croissant entre la présence humaine et les ressources produites localement, d’y envisager une quelconque forme d’autosuffisance alimentaire. Ce qui est encore la norme dans de nombreux pays du sud, où une part importante de la population vit à proximité des lieux de production, ne l’est plus dans nos sociétés, du fait de l’urbanisation des modes de vie.
Une activité de production et de services essentielle pour la collectivité
Est-ce à dire que l’agriculture urbaine, version contemporaine de l’horticulture, n’aurait plus rien à apporter aux citadins ? Pas tout à fait. Même si l’on ne peut pas attendre de l’agriculture urbaine qu’elle se substitue aux modèles en place, elle a une fonction de production qui ne doit pas être négligée. Elle peut permettre, dans des proportions certes modestes, de réduire la dépendance alimentaire des villes. « Dans le cas de Paris, estime Pierre Darmet, c’est environ 2 % des besoins qui pourraient être produits localement ». Elle peut aider des ménages modestes à développer des capacités d’autoproduction. Les zones péri-urbaines, disposant de friches, d’anciens entrepôts, sont d’ailleurs souvent très adaptées au lancement de nouvelles productions, sous réserve que des règles de base soient respectées en cas de pollution des sols. Des techniques de culture hors-sol permettent souvent d’y remédier.
L’agriculture urbaine peut également avoir une fonction de sensibilisation, au travers de fermes à vocation pédagogique. Ces structures sont des lieux privilégiés pour que les différents publics (enfants des écoles, étudiants, salariés d’entreprises…) se familiarisent avec les mécanismes du vivant, le rythme des saisons, ou encore l’interdépendance des villes et des campagnes.
L’agriculture urbaine remplit par ailleurs de nombreuses fonctions écologiques. Comme l’explique David Viala, cofondateur de la ferme urbaine Oasis Citadine, à Montpellier, « l’agriculture urbaine contribue à végétaliser les villes. Il n’y a d’ailleurs pas lieu d’opposer les deux approches. Si à la place d’une pelouse on décide de planter des arbres, il peut être judicieux d’opter pour des arbres fruitiers, qui en plus de lutter contre les îlots de chaleur et de soutenir la biodiversité, ont une fonction nourricière que n’ont pas les autres arbres ». Exemple d’application, la résidence Eden à Annecy, livrée en 2019 par Nexity, accueille en toiture une serre potagère partagée. Au sein de l’opération, les espaces végétalisés permettent d’économiser les ressources grâce à un système de récupération des eaux pluviales et la possibilité pour les occupants de composter leurs déchets.
L’agriculture urbaine, enfin, peut jouer un rôle social en réunissant les habitants autour d’un projet commun. Un jardin partagé, par exemple. L’agriculture urbaine ne remplacera jamais l’agriculture par ses fonctions nourricières ? Son apport n’en est pas moins essentiel. Comme le résume Pierre Darmet, « l’agriculture urbaine produit bien plus que des fruits et légumes : c’est un formidable outil pour relier les citadins au vivant en général et à la production de leur alimentation en particulier. Chaque jardin comestible, chaque potager, chaque ferme urbaine est unique. Une clé de la pérennité de ces nouveaux lieux de sociabilité tient dans leur animation, qu’il convient de rémunérer comme un service rendu au quartier. Leur viabilité économique en dépend ».