« Bombe sociale du logement » : quelles solutions pour les Français ? Interview de Christophe Robert, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
Publié le 12.01.23 - Temps de lecture : 5 minutes

« Bombe sociale du logement » : quelles solutions pour les Français ?

Visuel d’ouverture : ©Nexity

Délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert est en première ligne face à la crise du logement, notamment s’agissant de ses effets sur les populations les plus démunies. Avec Véronique Bédague, PDG de Nexity, il co-anime le Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement. Lancé fin novembre, il a réuni tous les acteurs de la filière et rendra ses travaux au printemps. Plusieurs pistes ont déjà pu être identifiées.

Avec Véronique Bédague, vous animez le CNR « logement », quels sont les grands enseignements de ce rassemblement ?

Christophe Robert : Plusieurs aspects importants ont été abordés. Tout d’abord, le logement souffre de nombreuses difficultés comme la baisse de la construction, la réticence à construire malgré des besoins dans beaucoup de territoires, le fait que le logement constitue un vecteur d’exclusion et d’inégalité très fort ou encore qu’il représente en même temps un levier pour l’emploi et la transition écologique. Ces éléments sont partagés par beaucoup d’acteurs du monde du logement que ce soient les promoteurs, les bailleurs sociaux, les associations ou les élus…

Le CNR a permis de remettre les solutions au rang des priorités ?

Christophe Robert : Il y a clairement la volonté de remettre le logement au cœur de l’action publique et d’agir de façon différente. Le travail a été réparti en trois groupes qui permettent de couvrir les grands enjeux identifiés par les acteurs présents : le premier se concentre sur la partie sociale et l’adaptation aux besoins de nos concitoyens, notamment les plus en difficulté. Le deuxième groupe de travail touche beaucoup à la question de la construction : qu’est-ce-qui freine la construction, comment peut-on sortir de la contradiction entre le ZAN et la nécessité de construire là où les besoins l’exigent. Que construire et où ? Enfin, le troisième se concentre plus particulièrement sur la question de la transition énergétique dans le domaine du logement avec les enjeux du réemploi, de la rénovation thermique, des écoquartiers. L’esprit que nous avons essayé d’impulser dans ces groupes est d’identifier rapidement les quatre ou cinq principaux enjeux et leviers à mobiliser au cours du quinquennat. Il s’agissait donc de relever les points de friction, les nœuds, les bonnes pratiques ou bons leviers déjà partagés par les acteurs.

On parle de « bombe sociale » du logement. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Christophe Robert : Cela dépend d’où l’on se place. Quand je vois que le nombre de personnes sans domicile a doublé en dix ans, que le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages depuis plusieurs années, que le bâtiment et le logement sont parmi les principaux émetteurs de gaz à effets de serre et qu’ils contribuent fortement aux inégalités sociales, économiques et territoriales, alors oui on peut parler de bombe… Mais cette expression ne doit pas faire oublier que de nombreuses personnes souffrent déjà de cette situation. L’idée derrière cette expression doit être de dire que la situation s’aggrave un peu plus chaque année et qu’elle va être encore plus difficile pour ceux qui ont déjà du mal, et risque de le devenir pour de nombreuses autres personnes qui rencontrent une fragilité nouvelle.

Qu’attendez-vous de cette instance et des débats qui s’y tiendront ? Êtes-vous optimiste ?

Christophe Robert : Je suis probablement optimiste sur la capacité des acteurs présents autour de la table du CNR logement à faire émerger du consensus qui ne soit pas mou. Pourquoi je suis optimiste à cet égard ? Car pour connaitre ces acteurs depuis un certain temps, je sais qu’il y a beaucoup de points de rencontre sur le diagnostic. Je ne dis pas que tous les leviers font consensus mais il y a de nombreux sujets sur lesquels on peut avoir un consensus offensif. Toutefois, tous les acteurs ne sont pas décisionnaires sur le plan législatif, fiscal, financier ou sur les dispositifs, etc. C’est la puissance publique, en particulier l’État, à la manœuvre du CNR, qui est en capacité. Et là en revanche je suis un peu plus prudent. Il faut reconnaitre que le secteur du logement a été quelque peu malmené lors du premier quinquennat. Il n’a pas été au centre de l’action publique mais a plutôt été l’un des premiers vecteurs de la réduction des dépenses de l’État. Il faut toujours pousser pour rendre visible l’état du pays dans le secteur du logement et la réalité des conséquences qu’une insuffisance des politiques publiques produit sur nos concitoyens. Il faut que ce soit maintenant, le plus tôt possible.

Quels leviers vous semblent stratégiques ?

Christophe Robert : S’agissant du premier groupe, il faut inverser la logique de financer toujours plus de logements d’urgence qui ne sont ni satisfaisants pour les publics concernés, ni pour les finances publiques car cela coûte cher. Mais plutôt développer des logements durables et dignes pour des personnes qui ont vécu des choses très difficiles. Cette inversion de logique a donné lieu à un plan quinquennal pour engager une transformation structurelle dans l’approche avec des dispositifs et des objectifs. Malheureusement la montée en puissance ne s’est pas faite suffisamment pour inverser la logique. Il s’agit donc de savoir comment monter en puissance. Dans le deuxième groupe, on voit bien qu’il y a une forme de problème de diagnostic sur les besoins en logement, non pas des acteurs du logement mais plutôt des acteurs du Gouvernement, notamment Bercy. Depuis quelques temps, ils sont persuadés qu’il ne faudrait pas tant de nouveaux logements que ça, alors que beaucoup parlent d’un besoin de l’ordre de 500 000 logements par an. Toutefois, cette donnée n’était pas très fiable car non territorialisée. Bon an mal an, le niveau de construction correspondrait à peu près aux besoins selon Bercy. Seulement, ce n’est pas ce que constatent les acteurs. Nous avons aussi désormais une injonction, à juste titre, à limiter l’artificialisation. Pourtant il faut construire, pas n’importe où et pas n’importe quoi, mais il faut construire car il y a un réel besoin. Au-delà des leviers qui favorisent la construction, il faut donc un dialogue sur la question. Dans le troisième groupe, un sujet me parait fondamental, celui de la rénovation thermique. Des efforts sont faits, et des moyens sont mis sur la table. Toutefois, tels que nous sommes partis, nous n’arriverons pas aux résultats attendus. Nous n’atteindrons pas les ambitions fixées si nous ne réalisons pas de véritables travaux efficaces et si nous n’embarquons pas dans ce mouvement de rénovation les ménages modestes qui actuellement ne peuvent pas se permettre de tels travaux performants. Or, c’est pourtant là que se situent les plus grands gisements de réduction des gaz à effet de serre et de hausse du pouvoir d’achat.


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Quels sont les besoins aujourd’hui en France en matière d’hébergement d’urgence ?

Christophe Robert : L’hébergement d’urgence consiste en ce moment en des places d’hôtel temporaires pour quelques nuits, des gymnases ouverts, etc. Il se caractérise par une forte augmentation du nombre de places au cours des dernières années, de sorte que l’on atteint aujourd’hui 200 000 places à l’année. Si l’hébergement d’urgence répond à des besoins véritablement d’urgence comme une expulsion, des violences conjugales… alors il a toute son utilité. Malheureusement, au fil des années, il est devenu un amortisseur de crises pour ceux qui ne trouvaient pas de logement pérenne adapté ou qui avaient besoin d’un hébergement d’urgence et qui n’en sortent pas car ils ne trouvent pas de logement adapté à leur situation. De sorte que même si on a augmenté significativement le nombre de places, cela ne suffit pas à répondre à la demande. Chaque soir des milliers de personnes appellent le 115, et on leur répond qu’il n’y a pas de solution. C’est très tendu !

Quelles réponses à cette problématique sont les plus pertinentes aujourd’hui ? Avez-vous des exemples concrets ?

Christophe Robert : La solution au manque de places passe par l’accroissement du nombre de logements sociaux, par le logement privé à vocation sociale ou par des formules qui répondent à des besoins spécifiques comme les pensions de famille ou le logement accompagné par des associations.

Où installer ces infrastructures d’accueil ? Comment les intégrer dans la ville ?

Christophe Robert : Les pensions de famille s’adressent à des personnes parfois très désociabilisées, qui ont eu des parcours très difficiles et qui ne souhaitent pas forcément vivre dans des logements seuls. Les pensions de famille sont à la fois des logements de droit commun avec un bail classique, mais qui comprennent aussi des espaces de vie collective. La question de l’insertion est intégrée dans le modèle même des pensions de famille. La donnée collective fait partie du projet social et immobilier. Quant à la question de leur insertion dans la ville proche des commodités, des transports et des espaces de vie citoyens, qui est fondamentale, elle dépend en grande partie des souhaits d’une municipalité, des élus… À la Fondation Abbé Pierre, nous prônons très fortement la mixité dans la diversité de l’habitat présent et le fait d’éviter la spécialisation des villes.


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Comment accompagner ces personnes dans le temps après un hébergement d’urgence ?

Christophe Robert : La Fondation Abbé Pierre agit presque exclusivement grâce aux dons. Nous aidons au financement de projets de construction, de gestion ou de rénovation de logements très sociaux, de pensions de famille, de lieux d’accueil de jour pour les personnes sans domicile, de lieux d’accès aux droits. Il existe une palette d’activités très diverses. Dans notre philosophe d’action, il existe un certain nombre de fondamentaux qui nous sont essentiels. Tout d’abord, la dimension de la qualité est primordiale. Quand on participe à la rénovation de logements par exemple, on veille à la qualité thermique des logements pour que la facture soit la plus basse possible pour des personnes qui ont des petites ressources. Mais aussi sur le soutien à des actions pour des personnes très désocialisées qui ont vécu des moments très difficiles. La dimension globale de l’action peut s’avérer essentielle : sur le plan de la santé, du retour à l’emploi, de l’accès aux droits, de la citoyenneté… Les actions financées dans le cadre du logement pour des personnes qui souffrent de dépendance prouvent que le logement est un formidable vecteur de reconstruction. C’est là qu’on se soigne, qu’on développe sa vie sociale, qu’on se repose… Ce n’est pas que la dimension « hébergement » même si elle est importante à travers la qualité du logement ou sa localisation. Pour le dire autrement, le logement, ce n’est pas qu’une question de logement.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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