Pourquoi la « bombe sociale du logement » pourrait exploser (et comment la désamorcer) ?
Ancien conseiller au ministère du Budget et Directeur Corporate Finance d’Unibail-Rodamco-Westfield, Sylvain Bogeat est spécialiste de la construction, de l’immobilier et de l’urbanisme. Avec son entreprise, Vestack, spécialiste de construction modulaire bas carbone, il veut s’attaquer à la « bombe sociale du logement ». Interview.
La pression sur l’offre de logement en France est profonde : pourquoi cette fois, la « bombe » peut-elle selon-vous « exploser » ?
Sylvain Bogeat : Nous faisons face aujourd’hui à un tournant, car la « bombe » que représente la crise du logement en France est triple, et touche tous les aspects du parcours résidentiel des Français. D’une part, les Français ont de plus en plus de mal à accéder à la propriété du fait de prix de plus en plus élevés et de conditions de financement qui ont été durcies récemment. D’autre part, on voit que s’agissant du marché locatif privé, beaucoup font face aux problèmes des dossiers à rallonge demandés par les propriétaires, augmentant du même coup le taux de vacance : 9%, un non-sens économique et social. Enfin, la « bombe » du logement concerne le logement social, qui ne participe plus d’un parcours résidentiel, mais qui « fixe » ses bénéficiaires. Résultat, un demandeur sur dix seulement se voit attribuer un logement. Bref, l’accession, le locatif et le social sont dans une impasse.
Vous notez une forme d’accélération ?
Sylvain Bogeat : Disons que pour ne rien aider, la demande est croissante (de 300.000 à 450.000 logements par an seraient nécessaires) du fait de l’accroissement démographique et de l’obsolescence du parc existant. J’ajouterais enfin que les ménages sont de plus en plus petits, et nécessitent donc plus de logements… que les Français aimeraient voir plus grands. En effet, la crise sanitaire a exacerbé la recherche de qualité, et d’espaces extérieurs notamment. Les attentes sont donc de plus en plus élevées.
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On parle beaucoup d’attrait des villes moyennes, de zones péri-urbaines à reconquérir, de logements manquants en centre-ville : où se trouvent selon vous les gisements, les potentiels ?
Sylvain Bogeat : Les entrées de ville sont une sorte de « far west » de l’urbanisme, sur des zones qui n’ont pas du tout été pensées de manière cohérente, ni en termes d’architecture, ni d’urbanisation, ni de flux. Il est urgent de s’en saisir, et ce sera je l’espère l’un des principaux objectifs du prochain quinquennat. De même que l’on a fait un programme « Cœur de ville », on doit restaurer de la mixité d’usages dans ces entrées de villes. La logique de sobriété nous permet de reconvertir certaines parcelles, de travailler sur leur densité et leur mixité. Il faut trouver des solutions efficaces en termes d’équilibres économiques et en termes d’empreinte environnementales afin de donner aux élus locaux des solutions de construction de logement en R+3 ou R+4 qui permettent de requalifier ces entrées de ville.
Vous êtes un entrepreneur : d’où vous est venue cette volonté de vous attaquer à ce problème, et quelles solutions apportez-vous ?
Sylvain Bogeat : Je fais partie d’une génération d’entrepreneurs engagés, avec mes associés Nicolas et Jean-Christophe, qui œuvrent pour améliorer la situation de nos villes, de notre pays. Et il y a peu de matières qui, comme l’immobilier et l’urbanisme, permettent de changer la vie des gens. Ce que nous souhaitons faire, c’est répondre au problème principal que pose le secteur du bâtiment, à savoir qu’il représente un quart des émissions de gaz à effet de serre. Mais le problème, c’est que construire de manière moins carbonée, plus respectueuse, a un coût, environ 15 à 20 % supérieur aux prix habituels. Et personne ne veut payer ! Ma vision, c’est qu’il est indispensable d’apporter une réponse technologique à cet antagonisme du bâtiment à la fois durable et abordable. Notre réponse, c’est la conception digitalisée, et une construction industrialisée, la construction hors-site modulaire, afin d’optimiser la production et d’y inclure des matériaux bas carbone.
Pour construire plus de logement à l’heure où l’on parle de ZAN, de frugalité, de bas carbone, et plus généralement de respect de l’environnement, comment fait-on ?
Sylvain Bogeat : Ce n’est évidemment pas évident. Nous avons raison de limiter l’artificialisation, ce qui nous force à utiliser des gisements de foncier existant. Ce sera d’autant plus possible que nous favoriserons la collaboration entre les promoteurs, les porteurs de projets et les collectivités locales, afin de faire émerger des projets qui permettent de transformer des quartiers ou de requalifier des friches. C’est ce qui nous permettra de répondre à la question de la densité, de la rendre acceptable, d’intégrer la contrainte des transports et de maximiser l’espace public. Avec le « zéro artificialisation nette » des sols on gagne au change si cela permet de préserver des grands espaces verts entre les bâtiments, des espaces de respiration. Grâce à notre système de construction modulaire bas carbone, on peut par exemple surélever des bâtiments aisément et rapidement, tout en limitant les nuisances pour les riverains. Un sujet bien sûr stratégique de la transformation des villes.
Comment les maires peuvent-ils se saisir de cette problématique selon vous ? Que leur conseilleriez-vous ?
Sylvain Bogeat : La construction de logements n’est pas l’ennemi. Mais c’est vrai que la façon dont nous la concevions n’intéressait probablement plus les Français. Mais ce n’est pas une fatalité ! On peut tout à fait construire des logements de manière durable, sans que cela entraine de nuisances pour les riverains, et c’est le premier travail des élus de savoir comment faire pour mettre en œuvre sur leur territoire les projets les plus vertueux possible. À eux de réfléchir en termes d’opération d’aménagement à ce qu’il est possible de faire pour aller un cran plus loin que la norme, pour accompagner les promoteurs dans le respect de la réglementation afin d’aboutir à des opérations bas carbone, avec un taux de circularité élevé, des ressources utilisées localement, etc. Dans l’environnement dense, comme le Grand Paris ou d’autres agglomérations, il faut travailler sur le hors site pour faire accepter ces projets. En parallèle de ce nouvel art de construire, il faut, je pense, effectuer un travail pour fluidifier les processus d’urbanisme. Je suis convaincu que les élus locaux peuvent être les fers de lance de la simplification et de la digitalisation de ces démarches.