Vue grand angle de la place animée d'un centre-ville historique
Publié le 31.03.22 - Temps de lecture : 3 minutes

L’attractivité des territoires, un mythe ?

Le sociologue Michel Grossetti, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS critique l’importance donnée aux notions d’attractivité et de compétitivité dans l’action publique territoriale. Les politiques d’incitation se heurtent selon lui au manque de mobilité des porteurs de projet, qui entreprennent là où ils ont leurs attaches.

Les collectivités locales essaient d’être attractives et mettent en place des incitations financières pour attirer de nouvelles populations actives et des entreprises dynamiques. Comment jugez-vous ces politiques ?

Michel Grossetti : En général, les analystes qui évoquent cette notion d’attractivité pour les villes et plus largement dans les territoires, présentent des résultats sur les flux de populations, de façon générique ou concernant certaines catégories professionnelles, ou encore les déplacements ou créations d’entreprises. Mais très souvent l’attractivité n’est pas mesurée, elle est seulement postulée. Les incitations financières se révèlent en général décevantes parce qu’en réalité, la mobilité des personnes comme des entreprises est relativement limitée, bien plus que ne le supposent les concepteurs de ces politiques. Lorsque cette mobilité existe, ses déterminants sont bien plus complexes qu’un simple arbitrage financier. Pourtant dans certains cas, ces incitations peuvent avoir des effets, mais c’est souvent à court terme et réversible. L’installation d’entreprises se fait sur la base de liens économiques ou sociaux déjà existants mais aussi d’activation de relations personnelles et de politiques d’accompagnement (comme l’aide à l’installation des salariés et de leurs conjoints par exemple).

Pour vous ce qui est essentiel dans la décision d’installation dans un territoire, c’est la proximité avec son territoire d’origine. Comment avez-vous travaillé pour le prouver ?

Michel Grossetti : Avec des collègues (notamment Jean-François Barthe, Christophe Beslay et Nathalie Chauvac) nous avons reconstitué des histoires de créations de startups et observé que leurs créateurs les installaient dans la grande majorité des cas à proximité de leurs lieux de vie. Par ailleurs j’ai participé à une étude européenne sur les personnes ayant des professions considérées comme « créatives » (entrepreneurs, artistes, artisans, etc.). Nous avons montré que ces personnes sont moins mobiles qu’on ne le croit souvent. Et lorsqu’elles le sont, leurs décisions se prennent en fonction des relations personnelles qu’elles ont avec des personnes résidant dans les villes d’accueil, et bien sûr des emplois et des carrières, et non sur la base de politiques génériques d’attractivité. L’on peut ainsi considérer, que, quelle que soit la taille des agglomérations, l’attractivité est un mythe qui affecte les élus et les techniciens. Ceux-ci fondent beaucoup d’espoirs sur l’arrivée de ménages fortunés ou d’entreprises, et sont en général déçus.


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Quels sont les territoires qui peuvent malgré tout être attractifs ? Pouvez-vous citer un exemple de ville qui a néanmoins réussi à tirer son épingle du jeu en ce domaine.

Michel Grossetti : Les politiques qui se préoccupent du bien-être des habitants en matière de transports publics, d’éducation, de santé et d’activités culturelles (entre autres) ont des chances que cela aide aussi leur développement économique. Je connais surtout l’exemple de Toulouse dont la relative réussite résulte de politiques de long terme. Selon une note de l’INSEE publiée il y a quelques années, « La zone d’emploi de Toulouse est celle qui attire, proportionnellement au nombre d’emplois, le plus d’actifs qualifiés au niveau national, loin devant Lyon (6e rang national) et Bordeaux (15e). ». Mais le dynamisme de Toulouse, qui ne se dément pas depuis 40 ans, résulte d’une histoire longue. Trois processus historiques distincts ont produit la situation actuelle : ils ont été les trois « chances » économiques de Toulouse. Ainsi cette réalité toulousaine est à la fois due à une politique ratée de développement économique qui a abouti à la création d’une école d’ingénieurs en électricité, à l’opportunisme de l’industriel Pierre-George Latécoère qui a initié l’industrie aéronautique mais aussi à une politique coûteuse d’aménagement du territoire entrainant le développement d’une industrie des satellites. La « recette » du développement économique local à la toulousaine n’est pas très efficace : 70 ans entre les premiers efforts et les premiers résultats, un coût élevé, des échecs, des initiatives individuelles imprévisibles. Un résultat similaire peut être obtenu à la suite d’une histoire toute différente.

Si l’exode urbain vers les villes moyennes ou les petites villes ne s’est pas réellement produit, l’ère post-covid a néanmoins rebattu les cartes pour certaines collectivités qui voient aujourd’hui qu’il reste peu de logements à acheter mais aussi l’arrivée inédite d’enfants dans les écoles de leur commune. Là encore l’argument de l’attractivité revient.

Michel Grossetti : À partir des données sur les inscriptions dans les écoles primaires, mon collègue et ami Olivier Bouba-Olga a observé ce qui semble être un retournement de tendance avec une dynamique plus positive dans les villes moyennes ou les espaces moins denses, avant même la crise sanitaire. Ce résultat reste à conforter et à analyser en détail s’il est confirmé. Une hypothèse est qu’il s’agit moins d’attractivité que de répulsion des centres des grandes villes où le coût du logement a beaucoup augmenté et devient difficile à supporter pour des couples avec des enfants. Attirer des populations extérieures dans ces collectivités de plus petites tailles peut parfois réussir si cela se traduit par une offre de logements de qualité à prix acceptable. Mais cela peut aussi permettre de relocaliser dans les centres urbains des personnes résidant dans certaines périphéries de ces villes. Surtout, le problème est souvent de favoriser une installation ou réinstallation de commerces souvent partis dans des zones commerciales aménagées en périphérie de ces villes.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

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