« Les tiers-lieux, une chance pour les territoires en quête de dynamisation »
Au départ cantonnés aux grandes agglomérations, les tiers-lieux essaiment désormais dans les petites villes et les zones rurales. Décryptage de ce phénomène avec Gerhard Krauss, qui a publié « Tiers-Lieux ; travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…. »
Pourriez-vous définir ce qu’est un tiers-lieu, et distinguer les spécificités des fablabs, coworking, hacklabs ?
Gerhard Krauss : Le concept de « tiers-lieu », utilisé dans les années 1990 par le sociologue américain Ray Oldenburg, définit un espace entre un premier lieu, la maison, et un deuxième lieu, les murs de l’entreprise. La catégorie la plus importante aujourd’hui est celle des espaces de coworking, qui est un lieu de travail partagé par des travailleurs indépendants ou issus d’entreprises différentes. Un fab lab, ou laboratoire de fabrication, est un lieu ouvert au public où sont mis à disposition des usagers des outils coûteux, notamment des imprimantes 3D, pour la conception et la réalisation d’objets. Enfin, les hacklabs sont à mon sens les endroits où la collaboration entre les membres est la plus forte car il s’agit de lieux où des gens avec un intérêt commun – souvent des passionnés d’informatique – peuvent se rencontrer et collaborer.
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Depuis combien de temps ces tiers-lieux se développent-ils et à quelles évolutions de la société correspondent-ils ?
Gerhard Krauss : Le premier espace de coworking est né à San Francisco en 2005. Au départ, ces endroits s’adressaient aux indépendants et free-lance, pour les aider à rompre leur isolement et créer du lien entre professionnels. Ils sont aujourd’hui investis par les télétravailleurs qui veulent sortir de chez eux, comme par les étudiants qui fuient des lieux de vie trop exigus. Leur usage s’est élargi car ils correspondent à l’évolution de la société contemporaine qui valorise à la fois le travail créatif des individus et leur coopération dans le cadre de réseaux, tout ceci favorisé par les technologies du numérique. Les individus aspirent à plus de liberté, c’est-à-dire qu’ils ne veulent plus se soumettre aux structures hiérarchiques des entreprises, tout en ayant besoin de lieux de sociabilité.
La crise sanitaire a-t-elle favorisée l’augmentation du nombre de tiers-lieux dans les territoires ?
Gerhard Krauss : La crise a agi comme le catalyseur d’une tendance que nous observions déjà. Les différentes périodes de confinement ont en effet convaincu de nombreux citadins de partir s’installer hors des grandes agglomérations et cela a accéléré le mouvement de diffusion des tiers-lieux dans les petites villes et les zones rurales. Aujourd’hui, ils poussent comme des champignons dans toute la France et ils sont une vraie chance pour les territoires à la recherche de dynamisation.
Les tiers lieux sont amenés à se développer de plus en plus en France
En quoi sont-ils une chance et quelles conséquences ont-ils sur le tissu économique local ?
Gerhard Krauss : La multiplication des tiers-lieux dans les zones rurales attire un certain type de population, à savoir des gens plus diplômés, sensibilisés aux problèmes de l’environnement et ayant bien souvent un engagement citoyen important. Leur venue a donc un effet positif pour l’économie des territoires, car ce sont des gens qui veulent consommer local, qui sont entreprenants et qui s’engagent dans du collectif.
Comment ces tiers-lieux vont évoluer selon vous dans les dix prochaines années ?
Gerhard Krauss : Plus qu’un effet de mode, ces espaces sont amenés à se développer de plus en plus. Mais je pense que leur évolution en France va dépendre aussi du comportement des grandes entreprises, qui ont un rôle clé à jouer dans leur multiplication. En effet, si elles acceptent de poursuivre le recours au télétravail, le nombre de tiers-lieux pourrait bondir. Si en revanche les chefs d’entreprise décident de freiner cette pratique à l’avenir, leur progression va être plus limitée. Dans tous les cas, il est fondamental d’ouvrir ses espaces à la population locale et de privilégier une communication ouverte – grâce, par exemple, à des journées portes ouvertes, des cours ou des formations, des évènements publics etc. – afin qu’ils ne deviennent pas des îlots pour privilégiés coupés de la vie rurale.