Données, commerces, piétonnisation… plongée dans le mode d’emploi de la ville du quart d’heure
Riche de promesses pour les habitants, porteur d’un renouveau des pratiques et des modes de vie urbains, le modèle de la « ville du quart d’heure » doit, à présent, sortir de la théorie pour se confronter au réel et façonner concrètement la ville de demain.
Gigantisme des constructions, mobilité de masse, construction de grands ensembles en périphérie, séparation stricte logement/travail/loisirs… La ville fonctionnaliste du XXème siècle a vécu. Pour Carlos Moreno, à l’origine du concept de ville du quart d’heure, elle doit être repensée à l’aune de notre rapport au temps avec un objectif : Rendre accessible à pied ou à vélo en quinze minutes les six fonctions sociales, urbaines et territoriales essentielles d’une cité, à savoir se loger, produire, accéder aux soins, s’approvisionner, apprendre et s’épanouir.
Si l’idée suscite un véritable engouement, aussi bien de la part des citoyens que des politiques, la ville du quart d’heure ne peut être considérée comme un modèle figé qu’il suffirait de plaquer sur chaque territoire. Elle constitue bien davantage une boîte à outils destinée à encourager l’innovation urbaine. Pour les tenants de cette théorie, chaque ville, chaque quartier, chaque rue correspond à une dynamique territoriale spécifique qui implique à son tour des modalités d’application particulières. Se pose alors la question des moyens à mobiliser pour donner corps à la ville du quart d’heure.
Les bonnes pratiques et outils à privilégier
Pour faciliter la tâche des responsables publics, les maires des 40 plus grandes villes mondiales, réunis sous l’égide du « C40 Cities », préconisent ainsi l’adoption d’une série de bonnes pratiques, à commencer par la construction d’une vision globale et intégrée des caractéristiques du territoire à travers une politique de données ambitieuse et ouverte (démographie, services et infrastructures publics, espaces verts, commerces, emploi). En 2018, la municipalité de Brimbank en Australie a mis en place un projet pilote permettant d’étudier les flux et les problèmes rencontrés par les habitants et in fine de faire de ce faubourg de Melbourne un véritable “quartier des 20 minutes”.
L’inclusion des commerçants et des habitants à la conception et à la mise en œuvre de la stratégie de « ville du quart d’heure » est elle-aussi vivement recommandée, tout comme la réallocation de l’espace urbain à la marche et au vélo grâce au contrôle de la voirie et la subvention des pratiques de mobilité vertueuses. Permettre à la vie de quartier de se développer de manière dynamique constitue un autre pilier du concept. La décentralisation des services essentiels, l’implantation de locaux commerciaux en pied d’immeuble, le caractère évolutif de l’usage des espaces et bâtiments publics en fonction du moment de la journée, ou encore la facilitation du télétravail et du co-working sont souvent cités comme autant de solutions pour y parvenir.
Quant aux pouvoirs publics “centraux”, ils disposent quant à eux d’outils permettant de faire évoluer l’aménagement de l’espace urbain et d’engager pleinement les municipalités dans la voie du quart d’heure, à l’image de la modification du PLU ou encore de la réglementation juridique permettant une meilleure mixité fonctionnelle. Au Danemark, les autorités publiques ont élaboré un “Finger Plan”, une directive nationale obligeant les collectivités à respecter certains principes d’aménagement. À Copenhague, il est par exemple interdit de construire des bâtiments de bureaux de plus de 1500 m2 de superficie de plancher à plus de 600 mètres d’une gare. Une telle réforme permettrait en effet de réduire l’usage de la voiture de près de 50%.
Les initiatives françaises et l’impact de la crise sanitaire
En France, les expérimentations se succèdent dans des villes comme Paris, Nantes ou encore Mulhouse. Michèle Lutz, élue maire de cette dernière aux élections municipales 2020, porte un programme qui concentre ses efforts sur le centre-ville avec une ambition d’agir pour une « ville du quart d’heure » où les habitants trouveront espaces verts, commerces, lieux de convivialité et services publics. Jean Rottner, désormais premier adjoint en charge de la coordination du projet de la « Ville du quart d’heure » à Mulhouse, détaillera prochainement la méthode employée et les premières concrétisations sur Envies de Ville.
La crise sanitaire a également amené au déploiement d’initiatives faisant la part belle aux principes de la ville du quart d’heure. L’expérience du confinement, partagée par de nombreux urbains à travers le monde, a en effet mis en exergue le besoin criant de pouvoir accéder aux services essentiels de proximité dans un périmètre raisonnable. Pour exemple, Paris a développé les corona pistes afin de faciliter les déplacements à vélo et la pérennisation des terrasses éphémères soulignent la volonté de créer des espaces sociaux dans les quartiers parisiens.
Mais, en dépit de ce dynamisme, l’engouement dont fait l’objet le concept ne doit pas masquer le fait qu’un certain nombre de limites, de problématiques et de doutes persistent à son égard, notamment en termes d’inégalités socio-spatiales. Ces inégalités territoriales constituent probablement la principale limite au modèle de la « ville du quart d’heure ». Alors que l’extension des Zones à Faibles Emissions (ZEF) contenue dans le projet de Loi Climat a, une fois de plus, ravivé les débats autour des fractures territoriales, l’enjeu principal pour les municipalités désireuses de concrétiser les principes de la ville du quart d’heure est de s’assurer que la « proximité heureuse » des centres-villes ne se construise au détriment des réalités périphériques.