Tous à la campagne, une utopie ?
À l’occasion de notre série « Villes moyennes, le nouvel eldorado ? », Jean-Yves Chapuis a répondu à nos questions sur le phénomène de l’exode urbain. Les zoomtowns à l’américaine, c’est pour demain ? Pour l’expert, la réponse est avant tout sociologique.
Le nouvel essor pour les villes moyennes que nous laissent entendre les médias est-il selon vous justifié ?
La réalité, c’est surtout que nous sommes passés d’une société sédentaire à une société de la mobilité. Ce qui créé, bien sûr, de nouvelles attentes et de nouveaux besoins en termes de logement. Dans les années 50, on ne sortait pas ou peu de sa commune, on ne sortait pas de sa ville pour consommer. Aujourd’hui, je peux vivre à Rennes, et travailler dans beaucoup d’autres villes en France, du moment que je ne vis pas loin d’une gare. Il faut cesser d’avoir une vision binaire ! On est passé de l’amour au désamour de la métropole, pour finalement encenser aujourd’hui les villes moyennes. Il faut arrêter d’opposer les territoires, pour se poser les vraies questions : selon mon âge, ma situation familiale ou sociale, quelles sont les possibilités et les besoins pour me loger ? N’oublions pas plusieurs faits qui viennent nuancer ce phénomène d’exode urbain. Ne télétravaille pas qui veut : il faut appartenir à une certaine catégorie socio-professionnelle et à certains secteurs pour travailler à distance. Si je suis restaurateur, ce n’est pas possible ! De plus, pour aller vivre ailleurs, mais cela nécessite aussi une certaine aisance financière, de tout quitter pour changer de vie. Et souvent, ceux qui font le choix de quitter la ville, ces néo-ruraux, restent bien souvent connectés à la métropole soit par leur activité professionnelle, soit pour la vie culturelle. Enfin, quand on est une famille, on va se retrouver face à des contraintes de scolarité : trouver un lieu proche d’un lycée, par exemple. Idem pour les plus âgés : ils vont rechercher des villes où les établissements de soins soient suffisants et de qualité. Tout cela temporise un peu petit ce phénomène d’exode urbain dont on parle tant.
Assiste-t-on ou va-t-on assister à un exode urbain lié à la crise sanitaire ?
Il ne faut pas penser que la pandémie s’arrête aux frontières des métropoles. Les villes moyennes, et les zones rurales aussi sont touchées, et parfois, sur certains territoires, plus que dans des lieux denses. La pandémie n’est pas liée à l’urbanisation ! Par contre, ce qui est notable, c’est une prise de conscience généralisée, avec cette crise sanitaire, qu’un autre mode de vie est souhaitable. Protéger les terres agricoles, lutter contre le réchauffement climatique, protéger la biodiversité, manger mieux… La préservation des terres naturelles et agricoles, certaines collectivités en ont fait leur fer de lance depuis longtemps. Aujourd’hui, 78% du territoire de la métropole rennaise est préservé en terres agricoles ou naturelles. Cela implique de consommer moins de foncier et donc, de construire plus dense. Mais cela pose deux difficultés : l’acceptabilité de la population, et la pression de la demande due à l’accroissement de la population.
Il ne faut pas opposer les territoires : nous sommes entrés dans la société de la mobilité
Mais on quitte tout de même les métropoles ?
Si les métropoles perdent des habitants, c’est surtout à cause des prix élevés du foncier. Si les villes moyennes ont le vent en poupe, c’est aussi parce que les villes n’arrivent plus à répondre à toutes les demandes de logement. Mais de fait, les grandes villes sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans des offices de foncier solidaire, où l’habitant n’est plus propriétaire du terrain, mais de son Logement( dissocier le bâti du foncier). En fait, ce sont surtout les usages, qui évoluent.
Dans tous les territoires, on fait face à de difficiles contraintes : je rencontrais il y a peu des élus lyonnais. Ils font face à des choix difficiles, entre volonté d’amener de la biodiversité en ville et de limiter l’artificialisation des sols, tout en répondant à la demande croissante de logement. Le grand paradoxe, c’est que les villes ont été construites là où les terres agricoles étaient les meilleures. De fait, aujourd’hui, en étendant la ville, on menace fortement nos ressources.
Quelles conséquences ces nouveaux mouvements de population vont-elles créer sur l’aménagement du territoire, à l’échelle de la ville, mais aussi du pays ?
Il faut prendre en compte, pour se projeter, disons dans 20 ans, le vieillissement de la population, et le fait qu’après la retraite, on a désormais 15 à 20 ans de vie « inactive ». Ce qui va influencer nos choix, et celui notamment du lieu où l’on va vivre. Vous avez le phénomène des néo-ruraux qui quittent les grandes villes, soit pour aller dans des villes balnéaires, soit pour être plus proche de la nature. Cette nouvelle tendance va créer de plus en plus de conflit d’usages avec les ruraux : on achète une maison avec vue, alors on ne veut pas d’éolienne ! Il faut tout de même nuancer ce phénomène, car la population des retraités va rechercher une proximité des hôpitaux et des services, et aussi une attractivité culturelle, ce qui fait que tous les territoires ne seront pas éligibles. Les collectivités, pour anticiper et comprendre ces mouvements, vont devoir travailler avec des sociologues ! Quant au déclin de la grande ville, il n’est pas plié : les collectivités ont compris qu’il fallait rendre le logement plus accessible, et la qualité de vie va s’améliorer avec la baisse de l’usage de la voiture. Finalement, plus que la destination, ce sont les usages qui changent. Demain, on n’achètera plus de voiture, on en louera occasionnellement suivant ces besoins. Tout comme, on n’achètera plus de tondeuse pour son jardin, on en partagera une dans le lotissement. Plus que la destination, ce sont les usages qui changent !