Terrains agricoles à louer pour urbains en manque d’espaces verts
Mettre en relation des urbains en manque d’espaces verts, des maraîchers sans terres et des propriétaires de parcelles prêtes à être cultivées, c’est l’objectif de la plateforme en ligne Cultivons Malin. Ce site propose à ceux qui le souhaitent des terrains à louer et à cultiver dans de nombreuses régions de France. Une façon inventive de reconnecter les citadins avec la terre et de leur donner envie de découvrir l’agriculture locale, raisonnée et participative. Dominique Rouzé, présidente de la plateforme, nous explique pourquoi il est urgent de nous mettre au vert.
Dominique Rouzé, qui êtes-vous et quel est votre parcours ?
J’ai 47 ans. En tant que fille et petite-fille de paysans, je suis partie du constat que les campagnes et les paysans souffraient d’un isolement. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai eu envie de voir autre chose, d’explorer d’autres contrées. Je suis partie en ville pour faire un BTS en institut agricole et ça ne m’a pas plu. J’étais dans une démarche de recherche de sens et on m’envoyait vers de l’agriculture conventionnelle. Or, ce n’est pas du tout ce que j’avais appris chez mes parents qui défendaient une agriculture raisonnée et se trouvaient dans une démarche d’équilibre de l’écosystème. J’ai donc décidé de voyager en baroudeuse et d’expérimenter le WWOOfing pour améliorer mon niveau d’anglais. J’ai réalisé qu’en Australie et au Canada, le travail était plus collectif et les micro-fermes fonctionnaient très bien. Le concept est le suivant : on partage un espace dans lequel on mène plusieurs activités pour être à l’équilibre. À mon retour en France, je me suis installée à Lille avec la volonté de valoriser les campagnes et d’installer ce modèle en France.
Pouvez-vous nous présenter votre plateforme en ligne ?
Après mon passage par la chambre d’agriculture en 2019, j’ai été repérée par l’incubateur lillois EuraTechnologies où j’ai bénéficié d’un accompagnement pour créer ma plateforme.
Cultivons Malin, c’est comme un Airbnb qui permet au locataire d’avoir accès à un terrain pour pouvoir faire des activités liées à l’environnement, au social ou au bien-être. Si vous êtes naturopathe ou sophrologue et que vous souhaitez pratiquer en pleine nature et pas dans un bureau en ville, c’est possible.
Nous avons aussi développé des activités autour du culinaire : on fait venir des chefs gastronomes dans des serres pour des repas simples, en connexion avec la nature. Vous voyez le légume : l’assiette, l’odeur et le palais, tout est rassemblé pour vous permettre de prendre une bonne dose d’évasion. C’est une expérience qui mobilise tous les sens dont vous pouvez profiter à plusieurs pour participer à des moments régénérants.
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À qui s’adresse votre plateforme ? Vos locataires sont-ils plutôt urbains en quête d’espaces verts ou pas forcément ?
Nous avons plein de profils différents, pas que des urbains. En ce moment, j’ai beaucoup de nouveaux maraîchers qui viennent de finir des formations en un an comme le BPREA qui est le premier brevet pour être exploitant agricole. Après leur formation, ils ne trouvent pas de terre. Je l’avais d’ailleurs constaté moi-même pendant mes études : quand vous sortez de l’école d’agriculture, soit vous êtes fils ou fille d’agriculteur et vous pouvez exercer, soit l’accès à la terre est très compliqué. En plus, le propriétaire d’un terrain ne veut pas forcément tout de suite accorder un bail à un jeune maraîcher qui n’a pas d’expérience. Si vous n’avez pas de réseau, que vous ne savez pas quelle porte pousser et que vous ne connaissez pas les codes, vous ne pouvez pas démarrer votre activité. Cultivons Malin permet aux arrivants de bénéficier d’un réseau. J’ai la chance d’avoir une double culture : une culture de ville et une culture de campagne. C’est comme si j’étais polyglotte ! Mon rôle, c’est de faire le trait d’union entre les deux.
Nous sommes aussi contactés par d’autres types d’acteurs : tout à l’heure, j’ai été appelée par un centre social qui veut organiser des ateliers pendant les vacances d’avril. Ils aimeraient pouvoir proposer à des jeunes en milieu urbain des activités autours de la culture d’une parcelle. Avec Cultivons Malin, ils vont pouvoir apprendre et le faire ensemble. Ils pourront y revenir plus tard. L’idée, c’est d’en faire un lieu communautaire.
Peut-on louer un espace si on n’a pas la main verte ?
Oui, tout à fait. Vous allez commencer à toucher à la terre, c’est un premier point de contact. On peut apprendre progressivement, expérimenter en plantant des semis. Il ne faut pas se dire qu’on va devenir un véritable producteur tout de suite. C’est comme quand vous commencez un nouveau sport : vous n’allez pas faire une performance incroyable dès le début. Et ça n’a aucune importance !
La mise en lien permet aux non-initiés de bénéficier de l’aide de ceux qu’on a appelé les Malins : ce sont des parrains et des marraines qui peuvent vous accompagner dans vos démarches. La communauté est présente et en soutien.
Qu’est-ce qui incite les propriétaires à louer leur terrain ?
Ils ont envie d’aller à la rencontre de l’autre. Ça leur permet de rencontrer des personnes à côté de chez eux tout en participant au projet. Je me suis rendue compte qu’il y avait aussi une volonté forte de contribuer aux enjeux climatiques. Souvent, les paysans qui sont conscients de l’état dans lequel se trouve notre planète veulent contribuer et partager un lieu au plus grand nombre. Ils sont fiers de participer à une démarche raisonnée donc ils soutiennent le projet.
Pour le propriétaire, la location est aussi un moyen d’augmenter ses revenus et d’aménager son terrain pour un montant très faible. Les matières premières sont financées par le propriétaire puisqu’il bénéficie de la plus-value. En revanche, il profite de l’aide d’un professionnel qui va par exemple faire une formation. Les jardins de ville et la campagne fonctionnent un peu comme des espaces de coworking au sein desquels tout le monde travaille ensemble !
Quel est l’apport de la permaculture dans votre démarche ?
La permaculture s’apprend. D’ailleurs, ça passe d’abord par une phase de désapprentissage puis ensuite par un apprentissage. C’est une erreur de vouloir transposer à l’identique quelque chose qu’on a lu dans un livre pour l’appliquer ailleurs, sans être d’abord en observation. La posture de l’observateur est indispensable pour s’inscrire dans un écosystème. On part toujours d’un design, d’une fonction par rapport à ce qui est disponible sur place. La permaculture exige un autre rythme et une autre temporalité : il faut ralentir. Et finalement, c’est assez magique parce que quand on prend le temps, ça devient bénéfique. On le savoure.
Économiquement, la permaculture est très intéressante. Ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais si vous avez compris la méthode et le savoir faire, ça peut remplir votre frigo ! C’est rentable et ça vous fait comprendre que vos déchets peuvent être valorisés et que vous pouvez faire vos produits vous-mêmes.
Votre initiative pourra-t-elle redonner envie de ville aux citadins ?
Quand vous partez en vacances, vous préparez votre voyage. Les lieux Cultivons Malin sont comme des sas dans lesquels vous allez vous préparer à aller en campagne. On va donner le premier accès au jardin et à la nature, à des techniques pour vous permettre d’arriver autrement en campagne. Sinon vous resterez toujours un citadin, malgré vous. Quand on veut aller trop vite, on arrive avec ses habitudes, un certain confort… Passer par nos jardins est une étape pour se préparer à une rencontre en campagne.
La découverte d’une nouvelle activité peut même à terme devenir un métier et vous inciter à partager votre temps de travail entre votre métier de comptable et celui de maraîcher par exemple. De plus en plus de personnes viennent nous voir parce qu’elles sont en quête de sens et qu’elles veulent se reconvertir professionnellement. C’est le paradis de trouver ce genre de lieu quand on a en besoin, avec une équipe disponible pour vous accueillir ! Louer un lopin de terre et commencer une nouvelle activité, ça peut se faire aujourd’hui : vous allez sur internet, vous créez votre micro-entreprise et vous pouvez vous faire accompagner.
Comment imaginez-vous la suite pour Cultivons Malin ?
Jusqu’à présent, nous avons surtout expérimenté à la manière d’un laboratoire pour montrer que le projet fonctionne. Aujourd’hui, nous avons 10 terrains. Nous avons identifié de nouveaux terrains dans le Cotentin, à Clermont-Ferrand et à Marseille. Nous allons aussi nous internationaliser en Belgique. Nous sommes toujours à la recherche de mentors et compétences pour nous accompagner. Quand on est seul, on ne peut pas réunir toutes les compétences, on s’épuise. Ça ne fait pas rêver quand on est jeune ! Aujourd’hui, quand on entreprend, on veut savoir pourquoi on le fait, avec qui et comment. Cultivons Malin met en relation plein d’expériences et de compétences différentes. Nous sommes un peu comme un incubateur, en fait !