Le covoiturage, sur la bonne voie ?
Depuis une loi promulguée fin 2019, des collectivités tentent une expérience innovante : réserver des voies routières au covoiturage. Décryptage d’une mesure pouvant faire gagner du temps et de l’argent aux automobilistes, mais qui n’en reste pas moins difficile à implémenter.
Depuis septembre, les automobilistes qui empruntent l’autoroute A48, à l’entrée nord de la métropole de Grenoble, ont dû s’habituer à un changement assez particulier. Aux heures de pointe, au moment où s’entassent les véhicules et nait un embouteillage, des panneaux lumineux avec un losange blanc s’illuminent. À partir de là et sur 8 kilomètres, la voie de gauche est réservée exclusivement au covoiturage. Pour pouvoir rouler sur cette voie, il faut circuler dans une voiture avec minimum deux personnes à bord. Une expérience conduite pour la première fois en France, aux objectifs écologiques et économiques, mais qui fait aussi face à quelques contraintes.
Les bienfaits écologiques du covoiturage
Motrice de longue date sur la transition écologique, la métropole grenobloise a fait figure de candidate idéale pour accueillir la première voie réservée, comme le précise Ghislaine Baillemont, Directrice de l’Innovation, de la Construction et du Développement chez APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) : « Le covoiturage permet de limiter les consommations énergétiques et les consommations en énergies fossiles en particulier. Mais il contribue également, par son effet positif sur la limitation des congestions, à réduire les émissions en gaz à effet de serre. » Et de préciser : « Réduire l’autosolisme (le fait d’être seul à bord de son véhicule), en favorisant le covoiturage, fait partie de nos engagements. Covoiturer, cela entraine moins d’émissions polluantes, mais aussi des économies pour l’usager, plus de convivialité, l’accès à la mobilité pour tous, notamment ceux qui n’ont pas de véhicule personnel, et moins de congestion à terme. »
Et si cette initiative existe depuis longtemps aux États-Unis, elle est toute nouvelle en France. Restait donc à convaincre les automobilistes de la région : « La population de l’aire grenobloise est depuis de nombreuses années dans une dynamique forte de transition écologique et engagée dans la mutation des mobilités. C’est donc avec intérêt que les Isérois qui empruntent l’A48 ont accueilli ce nouveau outil dédié au covoiturage » précise Ghislaine Baillemont. La communication réalisée en amont s’est aussi avérée essentielle : « Il est nécessaire avant toute mise en service d’engager une intense campagne de communication mais aussi et surtout expliquer comment chacun pourra l’utiliser. Cette communication doit également s’accompagner de dispositifs à vocation pédagogique tel que celui déployé par la société PRYNTEC [logiciel doté d’intelligence artificielle qui permet d’analyser le taux d’occupation des véhicules, ndlr].»
Comment ça marche ?
Cette voie réservée au covoiturage, limitée à 50 km/h, est donc activée dynamiquement grâce au trafic et s’ouvre :
- aux véhicules ayant au moins deux occupants à bord (un couple, un parent et un enfant, deux collaborateurs, deux covoitureurs…)
- aux véhicules à très faibles émissions qui sont détenteurs d’une vignette Crit’Air zéro émission, c’est-à-dire les véhicules 100% électriques et hydrogènes, quel que soit le nombre de personnes à bord. Les véhicules hybrides rechargeables ne sont pas autorisés sur la voie avec une personne à bord
- aux taxis, même vides
- les motos sont autorisées à emprunter la voie réservée si deux personnes sont sur le véhicule
Ainsi nait un écosystème économique réservé au covoiturage comme le précise la Directrice de l’Innovation, de la Construction et du Développement d’APRR : « L’organisation de l’offre de covoiturage par la collectivité est essentielle. Elle n’est en rien une concurrence aux voies réservées, mais plutôt un levier complémentaire à leurs succès. En effet, disposer d’une infrastructure dédiée et combinée à un service organisé de covoiturage, tel que M Covoit Lignes+ mis en place par le SMMAG [15 stations de covoiturage à plusieurs entrées de l’autoroute desservies par les transports en commun, ndlr], est aussi efficace qu’un bus à haut niveau de service disposant de sa voie en site propre. » Mais ce projet innovant fait aussi face à des contraintes diverses.
Inciter, former, pérenniser
Pas tout à fait entré dans les mœurs, le covoiturage et son expérimentation présente quelques obstacles. « Nous avons initié, aux côtés de l’État, les études de ce projet dès 2017, alors qu’aucune voie de ce type n’existait en France. Il a donc fallu partir de zéro et tout analyser, étudier, tester depuis le positionnement latéral de la voie, jusqu’aux critères de congestion déclenchant son activation, en passant par la formation des équipes ou encore le développement d’un système permettant de compter le nombre de passagers dans les véhicules. Tout était à imaginer et il a fallu convaincre… » remarque Ghislaine Baillemont. Autre question : l’acceptabilité des automobilistes. Là encore, la solution passe par la pédagogie : « Pour que la voie réservée réponde aux objectifs de fluidité, il est indispensable de vérifier que les véhicules présents sur cette voie soient bien autorisés à y circuler. Dès l’ouverture et afin de sensibiliser à sa bonne utilisation, il est affiché sur un panneau lumineux situé au-dessus de la voie réservée, le message pédagogique « Seul à bord, changez de voie », invitant le véhicule non autorisé à libérer la voie. La pédagogie est essentielle, mais pas suffisante. Comme toute infrastructure inscrite au code de la route, des contrôles assurés par les forces de l’ordre, seules habilitées à verbaliser les usagers de la route sont nécessaires. »
Avec un bilan positif tiré par APRR, cette expérience pourrait être renouvelée comme nous le dévoile Ghislaine Baillemont : « De nombreux axes autoroutiers apparaissent propices à l’implantation et sont actuellement à l’étude pour des déploiements dans les années à venir. Le Grand Lyon inaugurera pour sa part une voie réservée sur l’axe M6-M7 d’ici la fin de l’année. La pérennisation du modèle des VR2+ [sigle pour les voies réservées au covoiturage, ndlr] à l’échelle du territoire national passe par plusieurs actions combinées, qui doivent toutes concourir à la bonne compréhension de leurs fonctionnements, de la façon de les emprunter. »
Et de conclure : « Seul un déploiement à grande échelle de ces voies pourra favoriser l’appropriation définitive par les automobilistes et leur pérennisation dans le paysage routier national. »