Renaturation : la solution pour soutenir la résilience de la ville ?
Comment mettre en place une action de renaturation ? Pourquoi cette solution se présente-t-elle comme incontournable pour créer la ville résiliente ? Réponses avec Valentin Caillavet et Fabrice Cabrejas, fondateurs de Natura City, un concept qui ambitionne de (re)verdir les terrains imperméabilisés en vue d’accroître le bien-être et la cohésion sociale au sein des territoires.
En quoi consiste la renaturation des sols ?
Valentin : On considère que le sol est imperméabilisé lorsqu’il est recouvert d’une surface étanche comme du béton par exemple. Renaturer le sol consiste alors à enlever cette couche étanche pour ramener de la pleine terre et retrouver un sol suffisamment fertile pour y planter des arbres ou des végétaux. Il ne suffit donc pas seulement d’enlever la première couche mais de veiller à ce que la surface soit connectée avec la nappe phréatique en passant par un sol continu, vivant et abritant de la biodiversité.
Quelles sont les conséquences de l’artificialisation des sols sur notre environnement ?
Fabrice : Les problématiques autour de l’artificialisation des sols sont récentes dans l’histoire de l’aménagement du territoire. Elles ont été relevées par le plan biodiversité de 2018 qui a mis en avant la perte grandissante de continuité entre les espaces naturelles, qui résulte autant de l’artificialisation des sols que du grignotage des espaces agricoles et forestiers. La conséquence de l’artificialisation est donc une perte de l’autonomie du système vivant qui assure pourtant notre bien vivre, puisqu’il est notre premier rempart pour lutter contre le réchauffement climatique. Notre mission est donc de revoir l’aménagement du territoire en fonction de l’existant, et de renforcer la nature partout où cela est possible.
Quels peuvent en être les bénéfices pour les collectivités ?
Valentin : Les bénéfices pour les collectivités sont nombreux. Mais le plus important est de favoriser le bien-être et la bonne santé des citoyens alors que des événements climatiques extrêmes (fortes pluies ou canicules) sont de plus en plus récurrents. La renaturation des sols permet en effet de lutter contre les inondations grâce à une meilleure absorption des eaux pluviales. Elle favorise également la lutte contre les îlots de chaleur urbains tout en atténuant la pollution de l’air et du sol. La renaturation est enfin un support de biodiversité, encourageant la création d’écosystèmes au service des habitants qui profitent des services écosystémiques rendus par la nature.
Renaturaliser les sols augmente aussi la fertilité des centres-villes et ajoute de la couleur à l’anthracite du béton. À l’échelle globale, réintroduire la nature en ville évite certaines dépenses de santé publique, notamment en ce qui concerne les maladies liées au stress. La nature en ville a déjà prouvé ses bienfaits pour limiter l’anxiété des habitants.
Pourquoi les initiatives de renaturation ont-elles encore du mal à se généraliser en France ?
Valentin : Selon moi cela peut s’expliquer par trois raisons. D’abord la contrainte financière, puisque le coût engendré par la renaturation des sols passe par plusieurs étapes : la déconstruction, la désimperméabilisation, ou encore la dépollution. D’après le rapport de France Stratégie publié en 2019 et axé sur l’artificialisation des sols, ce coût peut varier du simple au triple. Ensuite, le délai peut poser problème puisqu’une opération de réaménagement se fait sur plusieurs années et plusieurs décennies sont parfois nécessaires pour retrouver une bonne fertilité du sol. Enfin, les PLU (Plan Local d’Urbanisme) ne sont pas pensés avec des objectifs bioclimatiques. Aucune contrainte légale n’impose d’intégrer des actions de renaturation dans les projets urbains, sauf en ce qui concerne la présence d’au moins un espace vert. Nous identifions donc les zones touchées par les îlots de chaleur pour pouvoir générer sur ces espaces de la biodiversité positive.
Fabrice : Je vois encore un autre critère entravant la renaturation : la mutabilité des terrains. En effet, tous les terrains ne sont pas nécessairement mutables pour être renaturés. Même avec une initiative publique, la mobilisation du foncier privé est parfois difficile, ce qui peut représenter un frein conséquent à la renaturation.
Est-il possible de concilier besoin de création de nouveaux quartiers et renaturation ?
Fabrice : C’est justement l’ADN de Natura City. Aujourd’hui, les agglomérations sont construites avec un usage par quartier : l’endroit où l’on fait ses courses, celui où l’on travaille, celui où l’on habite… Notre but est d’apporter une approche multifonctionnelle. Nous créons des quartiers résilients qui sont décarbonés à la fois dans leur conception et dans leurs usages. Nous envisageons les quartiers sous un autre angle pour créer les conditions du bien-vivre ensemble.
Comment travaille Natura City ?
Fabrice : Notre ambition est d’accompagner les collectivités pour identifier les terrains fortement imperméabilisés. Nous fournissons ensuite notre expertise pour les réaménager selon trois critères : la lutte contre la formation d’îlots de chaleur, la perméabilité et la nature en ville. Nous pouvons facilement mettre en avant tous ces gains pour les habitants qui acceptent mieux les projets de réaménagement dès lors qu’ils en mesurent les bénéfices.
Comment mettre en œuvre une stratégie de renaturation cohérente ? Sous quelles formes les initiatives de renaturation peuvent-elles s’incarner ?
Valentin : Pour une stratégie de renaturation cohérente, nous diagnostiquons d’abord les terrains. Nous les trions en fonction de la vulnérabilité, de la mutabilité et de l’accessibilité. Il est ensuite essentiel de penser la configuration en amont des projets avec l’ensemble des parties prenantes impliquées : les élus, les services publics, les opérateurs ainsi que les experts concernés tels que les écologues. Mais nous attendons aussi une participation civique, puisque les quartiers que nous créons sont à destination des habitants !
Pour rendre l’action cohérente, nous donnons ensuite une identité et une fonction aux espaces qu’il faut renaturer. Certains espaces seront privilégiés pour se reposer, pour jouer, d’autres pour se rencontrer, pour gérer les eaux fluviales ou encore pour favoriser le co-jardinage. La renaturation vise la création de jardins partagés, de parcs et de l’agriculture urbaine par exemple. L’objectif principal avec cette typologie de projets est de promouvoir la cohésion sociale et le vivre ensemble.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret de projet de renaturation en cours ?
Fabrice : J’habite à Mérignac où une opération est organisée autour du centre commercial Mérignac-Soleil. La Fab a proposé, sur des terrains fortement imperméabilisés, un aménagement sous forme d’îlots pour renaturer à 20%. Mais cette opération qui est pourtant vertueuse dans son approche est mal acceptée par la population, souvent méfiante envers les travaux de réaménagement. C’était en effet un sujet vibrant durant les élections municipales. Cet exemple nous amène à la question suivante : comment faire autrement ? Comment présenter notre démarche auprès des élus comme au public ?
Avec Natura City, nous avons eu l’idée de concevoir une maquette numérique grâce au CIM (City Information Modeling) qui permettrait aux personnes de se projeter depuis chez eux, de voir la réalité du projet d’aménagement tel qu’il sera. Les acteurs traditionnels proposent souvent des plans d’architectes peu lisibles pour les néophytes. Les plans n’encouragent pas l’appropriation d’un quartier afin d’en mesurer pleinement les bénéfices. Une maquette numérique présente en revanche les besoins et les manques d’un quartier au quotidien. Et c’est également un support de participation citoyenne qui invite au débat. De plus, la maquette enregistre des paramètres bioclimatiques pour mesurer l’état du terrain présent et à venir afin d’en prévoir l’évolution et les bénéfices. Nous simulons aussi des intempéries (pluies fortes) ou canicules pour anticiper les réactions de nos projets et ainsi nous assurer de leur viabilité.
Quels sont les sites que vous visez avec Natura City ?
Fabrice : Nous proposons aujourd’hui des diagnostics de terrains pour les collectivités en fonction de la vulnérabilité (pour des enjeux de santé publique par exemple), l’accessibilité des terrains (pour construire un quartier décarboné, il faut qu’il soit connecté à l’ensemble des transports en commun) et la mutabilité (pour envisager ces quartiers, il faut que les terrains soient mutables, c’est-à-dire mobilisables pour des opérations de réaménagement).
Lors du diagnostic, les collectivités prennent conscience de la formation des îlots de chaleur et de l’imperméabilisation généralisée des sols. Nos sites privilégiés sont ainsi les zones commerciales monofonctionnelles construites avec des bâtiments bas à la faible isolation thermique. Des zones qui sont d’ailleurs enrobées par de vastes étendues de parkings. Nous visons donc les places urbaines et les zones d’activités ou de logistique construites il y a plus de 30 ans. Des espaces dont la situation n’est plus appropriée au développement de l’agglomération, tout comme les friches industrielles qu’il nous faut renaturer de toute urgence !