Biodiversité : « penser la ville comme un écosystème complet »
La création de zones de compensation écologique, qui vise à contrebalancer les effets d’un aménagement sur la biodiversité, incarne l’évolution de la Fabrique de la Ville pour une meilleure prise en compte de la nature. L’éclairage de Christophe Cottarel, paysagiste concepteur chez Nymphéa Paysage & Aménagement.
L’idée d’un retour de la nature en ville semble aujourd’hui rallier nombre de décideurs, quel regard portez-vous sur cette inflexion ? Quelles conséquences y voyez-vous sur la manière de penser, de faire ou de refaire la ville ?
Il s’agit en effet d’un réel besoin. Pendant trop longtemps l’urbanisation de nos villes s’est faite au détriment de la nature, cette nature qui a été sacrifiée au gré de l’expansion urbaine et de son fonctionnement. Aujourd’hui, il est indispensable de penser la ville comme un écosystème global en lien avec les composantes de son territoire et avec les spécificités de son patrimoine paysager et naturel.
Alors que la ville est un organe en constante mutation, il me semble essentiel que ceux qui « font la ville » – élus, aménageurs, paysagistes, urbanistes, architectes – aient une sensibilité environnementale forte et qu’ils l’intègrent dans leurs différents projets. Ces approches auront une résonnance à court, moyen et long terme pour des villes plus durables, plus vertes avec un cadre de vie meilleur où Nature et Ville seront davantage compatibles. En tant qu’acteur de l’aménagement, avec une double spécialisation en paysage et en environnement, je veux croire que la Nature en Ville n’est pas qu’une utopie. Chaque projet peut apporter son empreinte à une ville plus respectueuse pour former in fine un ensemble urbain équilibré.
À Saint-Priest, dans l’agglomération lyonnaise, vous accompagnez Nexity dans l’aménagement d’un nouveau quartier afin de prévenir les atteintes à la biodiversité, en quoi consiste votre intervention ?
En effet, j’accompagne NEXITY depuis 2011, comme maître d’œuvre pour l’aménagement de mesures environnementales autour de l’aménagement de la ZAC Berliet de Saint-Priest. Dans le cadre du développement de cette ZAC, des inventaires faunistiques et floristiques réalisés en 2010 par des écologues spécialisés ont mis en évidence la présence d’espèces protégées. Des amphibiens avec le Crapaud calamite et le Pélodyte ponctué et de l’avifaune avec la Fauvette grisette et l’Œdicnème criard. Ce dernier fait l’objet d’un plan de sauvegarde important sur tout le secteur de l’Est Lyonnais. Il était donc nécessaire de préserver les habitats de ces espèces pour continuer de les voir prospérer sur et autour de la ZAC.
Nous avons ainsi aménagé deux zones naturelles permettant à la faune de se déplacer, de se nourrir et de nicher. Au total, ce sont près de 13 hectares d’habitats naturels qui ont été créés en prenant en considération les besoins des espèces cibles. Nous avons choisi et planté des linéaires de haies vives et des espaces de bosquets denses avec des essences végétales à baies (fruticées) favorables et adaptés aux oiseaux mais aussi aux petits mammifères. Nous avons creusé des mares plus ou moins profondes pour favoriser la ponte des amphibiens. Nous avons créé des ourlets de galets pour les amphibiens et les reptiles, semé de grandes prairies sèches et aménagé des hibernaculums. Mais le plus conséquent a été la constitution d’une aire de galets de 2 ha, dédiée à l’habitat de l’Œdicnème criard.
La nature et le vivant ne sont pas une science exacte et présentent toujours une part d’incertitude : ces nouveaux espaces vont-ils être habités par la faune locale ? Une partie de ce travail était et reste expérimentale. Des suivis sont donc nécessaires pour observer la reconquête de la nature. Les observations post-aménagement permettent alors de faire partager les retours d’expérience nécessaires pour être toujours plus pertinent sur la méthodologie appliquée pour la création d’habitats naturels.
Aujourd’hui, en 2020, nous sommes toujours dans la phase de suivi des sites et plusieurs observations démontrent des résultats positifs avec notamment la nidification de couples d’Œdicnème criard sur l’aire de galets. Il est satisfaisant de voir que toute une chaine écologique a trouvé sa place et son fonctionnement. La mosaïque de milieux qui vient se connecter à d’autres ensembles paysagers attenants a contribué à ce développement, offrant ainsi un corridor écologique à la trame élargie. Ces espaces naturels « artificiels » car créés par l’Homme peuvent donc permettre de préserver efficacement une part de biodiversité dans nos villes, entre bâtiments tertiaires, logements, côteaux boisés, haies et terrains agricoles.
Est-il possible de reproduire sur des espaces auparavant artificialisés des conditions favorables à la biodiversité et comment ?
Il est toujours possible d’améliorer un espace et ses conditions d’accueil de la vie pour récréer des maillons de biodiversité sur des sites auparavant artificialisés, et même sur certains sites au passé difficile comme des sites anciennement industriels et donc pollués. La ZAC Berliet, ancien site de Renault Trucks en est un parfait exemple. Le pouvoir de résilience de la nature est incroyable : on dit bien « la nature reprend toujours ses droits ». Notre mission de paysagiste-concepteur consiste dès lors à accompagner et équilibrer les différents leviers pour tendre vers une harmonie entre le social, l’économie et l’environnement : les trois piliers du développement durable et aussi de la ville durable. Pour récréer des conditions favorables à la biodiversité, je pense qu’il faut dans un premier temps prendre du recul pour observer comment le site en projet viendra s’articuler avec l’environnement qui l’entoure. Ceci permettra de créer, dans la mesure du possible, des continuums.
Ensuite, il faut travailler sur les sols pour déterminer leurs caractéristiques et approcher leurs aptitudes de fertilité. Parfois, il est nécessaire de renaturer les sols pour retrouver des conditions de fertilité adaptée. Ce travail d’analyse de la trame brune est essentiel pour pouvoir proposer des végétaux qui seront en mesure de s’y développer, pour reconstituer ainsi une trame verte indispensable à la biodiversité.
Travailler sur les essences végétales est intéressant pour offrir des espaces diversifiés. Plus nous jouons avec la richesse des espèces végétales, avec les volumes végétaux, plus nous amenons une richesse spécifique sur les sites à remanier. Qui dit « Biodiversité » dit « lutte contre l’uniformisation de nos espaces, des habitats et du vivant ». La diversité du végétal est une des clefs pour façonner une mosaïque de milieux : prairie, haie arbustive, bosquet, boisement, arbres isolés, bois morts, etc. Elle apportera des conditions favorables à une large palette d’espèces animales. Et si nous voulons aller encore plus loin dans l’aménagement de coins de biodiversité, il est souhaitable d’associer la trame verte à une trame bleue, c’est-à-dire à des points d’eau.
La diversité végétale permet également de garantir la pérennité des aménagements. En effet, avec notre monde en ébullition, les évolutions climatiques s’accélèrent et ce constat se ressent sur le maintien de certaines essences. Sur Lyon et sa région par exemple, des plantations d’Aulnes, de Bouleaux, de Hêtres, d’Epicéa, ne sont plus envisageables. En luttant contre l’uniformisation avec une multitude d’essences végétales adaptées, nous garantissons le maintien de la trame verte si jamais certaines essences deviennent plus fragiles dans un futur proche. Cette approche peut être conduite sur tous types de sites artificialisés, qu’il s’agisse de sites industriels, de zones d’activités, de centres-villes, de résidences. Le plus compliqué n’est en réalité pas tant de ramener de la biodiversité en ville que de la faire accepter par une partie des citadins. Un espace naturel renvoie encore trop souvent à l’idée d’un espace « non maîtrisé » qui peut déranger, bien que nous puissions tout à fait imaginer un jardin à la française qui soit un bel écrin de biodiversité.
Un urbanisme durable et respectueux de la biodiversité, c’est possible aujourd’hui ? Comment la fabrique de la Ville doit-elle selon vous se réinventer pour tendre vers cet objectif ?
La transition vers une ville verte se fait sentir depuis quelques temps déjà. Des outils tels que les PLU intègrent les enjeux d’une ville durable et les échanges sur le sujet sont de plus en plus nourris. Les villes sont davantage paysagées, avec des voiries assez largement plantées, avec des parcs et des jardins nombreux et avec souvent un appui bienfaiteur des grandes composantes naturelles je pense notamment aux rivières et fleuves qui traversent les milieux urbains.
Un urbanisme durable est possible dès lors que l’on pense la ville comme un écosystème complet. Bien sûr, le végétal, avec tous ses bienfaits, est le point d’entrée pour une ville respectueuse de sa biodiversité. Des plantations variées avec des largeurs suffisantes contribuent non seulement à l’amélioration du cadre de vie des citadins mais aussi à une amélioration de la qualité de l’air et à une réduction des ilots de chaleur pour, au final, conduire à un « mieux vivre la ville ». La ville peut aussi être le support de terres cultivées favorisant le lien social et favorisant les échanges en circuits courts. Une gestion intelligente de l’eau pluviale est également à poursuivre avec un chemin de l’eau au sein de la ville qui permet d’irriguer les espaces plantés, des zones cultivées et d’alimenter de grands bassins naturels. Des étangs au cœur des villes, c’est possible et bénéfique au maintien d’une biodiversité urbaine.
Mais pour qu’un véritable retour de la biodiversité s’opère dans nos villes, il est indispensable de conduire une gestion parfaitement orchestrée des espaces. Les composantes paysagères et naturelles ont leurs spécificités et l’application d’une gestion différenciée permet de ne pas les dégrader. Sur de grands espaces, il est par exemple possible de laisser des zones en défens, avec un paysage à voir plutôt qu’un paysage à vivre afin de laisser à la biodiversité l’opportunité de se développer. Le citadin profite tout autant de l’espace mais d’une autre manière et avec une nouvelle approche. C’est ce qu’il s’est passé pendant le confinement du printemps derniers où les pelouses ont moins été tondues pour le plaisir des insectes, des oiseaux, des chiroptères, des petits mammifères. Une chaine biologique s’est rapidement reconstruite du fait de la conservation de milieux.