Covid-19 : La baisse du tourisme va-t-elle relancer la location longue durée des grandes métropoles ?
Et si les appartements dédiés à la location en meublé touristique devenaient à nouveau accessibles aux habitants des grandes villes ? En raison de la crise épidémique, les touristes ont été particulièrement peu nombreux à voyager cette année. Une opportunité que les grandes métropoles européennes comptent bien saisir pour inciter les propriétaires de biens meublés à revenir à la location traditionnelle. Passage en revue des initiatives qu’elles ont mises en place pour remettre la main sur le marché résidentiel.
Frontières fermées, avions cloués au sol, la crise du coronavirus a mis un coup d’arrêt inattendu au tourisme international. Présenté par le gouvernement à la fin du mois de septembre dernier, le bilan de la saison touristique est sans appel : en France, les recettes touristiques internationales ont baissé de moitié. Mais la saison s’est surtout avérée catastrophique pour les grandes villes dans lesquelles les taux d’occupation des hôtels “ont été particulièrement faibles”.
Résultat, pour les propriétaires qui avaient l’habitude de louer leur appartement aux touristes, le meublé de vacances n’a plus le vent en poupe. Selon une étude du PAP réalisée au mois de septembre 2020, dans les grandes villes, un tiers des propriétaires a déjà renoncé aux locations touristiques ou serait sur le point de le faire. Parmi les difficultés évoquées, les sondés citent le manque de réservations, la crise sanitaire, la complexité logistique, mais aussi… les contraintes réglementaires. Il faut dire que depuis quelques années, les grandes villes accentuent la pression à l’égard des plateformes de location entre particuliers (Airbnb, Abritel, HomeAway…), qu’elles accusent de déséquilibrer le marché. Selon elles, en incitant les propriétaires à réserver leur logement aux touristes sur des courtes périodes, elles feraient gonfler les prix et accélèreraient la gentrification de certains quartiers. Des dizaines de milliers de logements auraient été retirés de la location longue durée, générant une crise du logement dans les grandes métropoles.
À mesure que l’épidémie se prolonge, un rebond du tourisme semble de moins en moins probable. Dans une interview à CNBC, Brian Chesky le patron d’Airbnb l’a reconnu : “le voyage tel que nous le connaissions est terminé”. Alors que la crise a fragilisé les géants de la location entre particuliers, certaines municipalités veulent en profiter pour faire revenir les meublés touristiques dans le giron de la location longue durée. Les grandes métropoles européennes sont convaincues que cette action permettrait de limiter l’augmentation des prix de l’immobilier. Et elles ne lésinent pas sur les moyens mis en œuvre pour parvenir à convaincre les propriétaires de louer leurs biens aux résidents sur des longues périodes.
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Paris
En 2019, 65.000 biens ont été mis à disposition des touristes de passage dans la capitale via Airbnb. Si l’on en croit les chiffres communiqués par la plateforme, la plupart d’entre eux sont destinés à des locations ponctuelles, de courte durée, le temps d’un week-end ou des vacances par exemple. Ce chiffre est contesté par la mairie de Paris qui estime que 25.000 à 30.000 appartement sont loués toute l’année aux voyageurs, au détriment des Parisiens.
Depuis le 1er janvier 2019, 18 villes françaises ont décidé de serrer la vis. À Paris, Lille, Bordeaux, Lyon, Nice, Nîmes ou encore Aix-en-Provence, un propriétaire qui veut louer son logement plus de 120 jours par an doit en changer l’usage et le transformer en logement touristique pour rester dans la légalité. Une mesure contraignante pour limiter l’emprise d’Airbnb sur le marché locatif des grandes métropoles.
L’été dernier, la ville a proposé un marché à 281 propriétaires indélicats assignés en justice pour “location saisonnière illicite”. L’adjoint au logement de la mairie Ian Brossat s’est dit prêt à abandonner les poursuites si les propriétaires acceptent de louer leur logement à un loyer inférieur de 20% à ceux du marché pendant une durée de 3 ans. Promis par Anne Hidalgo pendant sa campagne municipale, la ville prévoit par ailleurs un référendum sur la durée maximale des nuitées autorisées. Le chiffre de 120 nuitées annuelles pourrait être abaissé à 30.
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Lisbonne
C’est probablement l’initiative la plus ambitieuse : le maire de la capitale portugaise Fernando Medina a promis de “délivrer Lisbonne des Airbnb”. Pour y parvenir, la ville est en train de faire l’acquisition des appartements laissés vides par la crise du coronavirus pour les sous-louer aux Lisboètes. Une façon de reprendre le contrôle et de faire revenir les habitants chassés du centre-ville par l’augmentation des prix. Trois cents appartements ont d’ores et déjà été mis à disposition. Les loyers sont calculés au cas par cas : certaines familles peuvent ainsi bénéficier de loyers plus abordables.
Le plan “Renda Segura” (loyer sécurisé) prévoit également une aide pour les propriétaires qui accepteraient de louer leur bien touristique sur du long terme : l’équivalent de trois ans de loyer leur serait payé à l’avance. Rien que pour la première année, la ville a prévu un budget de 4 millions d’euros.
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Barcelone
En guerre contre Airbnb depuis 2014, la capitale catalane vient d’ajouter une nouvelle arme à son arsenal permettant d’augmenter le nombre de logements disponibles : elle a menacé de prendre possession des propriétés habituellement occupées par des touristes et restées vides ces derniers mois.
Au cours de l’été, la ville a pris contact avec une dizaine de sociétés possédant près de 200 appartements destinés à la location saisonnière et leur a laissé un mois pour trouver un locataire. Si ce n’était pas le cas, elle a prévu de saisir les biens pour les louer en tant que logements sociaux. Les propriétaires ne seraient compensés qu’à hauteur de la moitié de la valeur marchande de leur bien, comme la loi l’autorise depuis 2019. La ville a également indiqué que les sociétés retirant des biens de la location longue durée pourraient être condamnées à des amendes.
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Amsterdam
Depuis le 1er juillet, la mairie a banni la location de logements touristiques entre particuliers dans le centre historique. Pour pouvoir louer un bien dans le reste de la capitale, les propriétaires doivent obtenir un permis spécial.
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Et ailleurs ?
Alors que les grandes villes, particulièrement touchées par l’épidémie, sont désertées par les touristes, les spécialistes craignent que les petites villes et les campagnes subissent le même sort que les grandes métropoles avec une multiplication des locations de vacances.
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Selon le New Yorker, le nord de la métropole new-yorkaise connaît une vague de locations inattendue. Pour échapper au confinement dans des appartements souvent exigus et sombres, les habitants de la métropole américaine se sont rués sur les biens disponibles à proximité, dans des zones moins denses. Les zones rurales pourraient être les prochaines victimes des géants de la location entre particuliers.
Si les villes n’ont pas tardé à riposter pour tenter de récupérer les logements dont la fonction résidentielle avait été remplacée par une fonction économique, il est encore trop tôt pour faire le bilan des différentes initiatives. Seule certitude, la crise du coronavirus a redistribué les cartes en faveur des municipalités en guerre avec Airbnb.