L’étalement urbain, et après ?
Artificialisation des sols, raréfaction des terres agricoles, éloignement des services publics, coût du transport individuel et collectif, le modèle de l’étalement urbain est remis en question, sur fond de contestation citoyenne des grands projets et de crise sociale. Comment résoudre cette équation improbable et concilier densité urbaine et qualité de vie ? Éléments de réponse avec Marion Girard, Maître de Conférences à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France.
Dans un sondage Nexity¹, l’Institut IPSOS identifiait chez les élus locaux une volonté de limiter l’étalement urbain, est-ce une nouveauté ?
Non. En 2000, la loi SRU prévoyait déjà « une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux ». Ce qui me semble être nouveau, c’est tout d’abord la prise en compte des enjeux très larges relatifs à cette problématique. En effet, il n’est plus uniquement une question concernant la quantité de sols naturels ou agricoles grignotés par le béton mais touche les problématiques de pollution de l’air, de corridors écologiques, de cohésion sociale ou de finances publiques. On constate aujourd’hui que la ville étalée présente une multitude d’enjeux souvent liés entre eux. Et les citoyens sont de plus en plus concernés par ces enjeux. Cette prise de conscience et cette volonté d’agir se traduit dans la demande grandissante des citoyens d’être consultés lors des projets d’aménagement.
Cette volonté annonce-t-elle selon vous un changement dans notre manière de faire la Ville, et quels en seraient les contours ?
Je pense en effet que notre modèle de ville est en train de changer car la ville étalée n’est plus un modèle viable, ni d’un point de vue environnemental et social : c’est souvent une ville ségrégée, les centres urbains sont généralement aisés, tout comme leurs périphéries ; et entre ces deux espaces résident des individus plus modestes qui n’ont ni les moyens de vivre au centre-ville, ni les moyens d’accéder à la propriété dans le périurbain. Le nouveau modèle de ville semble tendre vers la densité et la mixité : un espace urbain compact qui accueillerait une population mixte (en âge et en niveau de vie) et la plupart des fonctions urbaines (transports collectifs, emplois, résidences, commerces, services publics…).
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La densité est-elle une solution pour réduire l’impact sur le foncier tout en répondant à la croissance urbaine, et comment doit-elle se faire pour être acceptée et acceptable ?
La densité peut en effet être une solution pour réduire l’étalement urbain, mais elle ne suffit pas. Une ville uniquement dense c’est une ville encombrée, bétonnée, où il ne fait pas bon vivre. L’objectif de densité doit forcément être couplé avec des objectifs de mixité dans les usages du sol : à quoi bon faire de la densité si les résidences, les emplois et les commerces sont séparés spatialement ?
Quels autres aspects faut-il prendre en compte pour proposer une densité qualitative ?
L’objectif de densité doit également être accompagné d’une politique de mobilité, plaçant les modes doux et collectifs au cœur de son offre, et il ne peut être envisagé sans prendre en compte les aspects sociaux. La ville de demain ne peut être une ville marquée par la ségrégation socio-spatiale. Bien que la mixité sociale ne soit pas toujours acceptée et que la cohésion ne se décrète pas, il faut trouver des solutions pour faire de la ville de demain une ville mixte. Cela passe notamment par l’offre de logement qui doit être adaptée aux besoins et désirs des individus.
C’est-à-dire ?
En proposant des logements de taille et de statut d’occupation différents, une certaine mixité sociale et générationnelle pourra être instaurée. L’idée est en fait de compenser : la mixité et la densité ne sont pas l’idéal résidentiel des individus ? Proposons-leur un cadre de vie agréable, vert, moins bruyant et moins pollué. Proposons-leur un « quotidien de proximité », où les commerces, services, loisirs sont accessibles à pied ; où l’offre de transport leur permet de se déplacer rapidement en tous points de la ville. Il faut que les mètres carrés perdus en périphérie soient compensés par des aménités urbaines diversifiées et de qualité, notamment du point de vue de la consommation énergétique.
La notion de centre-ville est-elle, finalement, à revoir ?
Il faut noter que l’intensité urbaine n’est pas réservée uniquement aux villes centre des agglomérations, ces objectifs de compacité et de mixité fonctionnelle peuvent tout à fait être transposés aux centres-villes périurbains. On peut tout à fait imaginer la Ville Durable non pas organisée autour d’un seul grand centre mais autour de plusieurs centres qui structurent l’espace autour d’eux.
¹Enquête IPSOS octobre 2019, 200 collectivités interrogées de + de 10 000 habitants