Comment concilier nouvelle offre de logements et préservation du patrimoine naturel ?
De nouveaux quartiers de ville tentent de réconcilier offre de logements et patrimoine naturel. C’est le cas à Solliès-Pont, dans le Var, labellisé écoquartier depuis le 9 février 2021. Largement plébiscité par les citoyens, ce projet s’inscrit dans une démarche de développement durable ambitieuse. Entretien avec André Garron, Maire de Solliès-Pont et Julien Meyrignac, urbaniste en charge du projet.
Interview de André Garron, Maire de Solliès-Pont :
Quelles étaient vos attentes au moment d’engager l’aménagement du secteur des Laugiers ?
Elles étaient de plusieurs ordres. D’une part, l’objectif était de créer un quartier comme cela n’a jamais été fait sur Solliès-Pont. En effet, il existe deux types d’urbanisation sur la commune : celle du centre ancien qui s’est construit sur plusieurs siècles de façon dense et celle sous forme pavillonnaire, parfois diffuse qui s’est développée à partir des années 80. C’est une urbanisation consommatrice d’espace, peu structurée qui souffre d’un manque d’aménagements publics ce qui a favorisé le cloisonnement entre quartiers.
Dans la conception de l’écoquartier, les espaces publics occupent une place centrale. En effet, le projet s’articule autour d’un cheminement réservé aux modes de déplacements doux ; il traverse le site d’ouest en est et relie le futur quartier, les quartiers alentours et le centre-ville, situé en continuité. Sur ce cheminement, différentes séquences se succèdent pour créer des espaces publics agréables, attractifs et sécurisés qui seront des lieux de rencontre pour les habitants.
D’autre part, les attentes étaient d’ordre démographique. Après avoir connu un essor important dans les années 1980-1990, la croissance démographique a ralenti et la population a vieilli. Il était donc important de diversifier l’offre de logements afin de maintenir et d’attirer des jeunes actifs ainsi que des familles sur la commune. L’écoquartier propose, ainsi, des logements locatifs, notamment sociaux, et en accession à la propriété sous diverses formes : immeubles collectifs, habitat individuel.
Pourquoi avez-vous choisi d’inscrire ce projet dans une démarche d’éco-quartier ?
Les signaux d’alerte concernant le réchauffement climatique et les enjeux environnementaux en général sont nombreux. L’habitat, notamment par les émissions de gaz à effet de serre qu’il génère, contribue à ces phénomènes. Toutefois, ce n’est pas une fatalité ; il est possible de concevoir des bâtiments économes et confortables pour leurs occupants.
La volonté était donc de réaliser un projet conforme au développement durable. La démarche écoquartier nous est apparue comme un bon outil car elle s’appuie sur une approche globale afin de concevoir un projet adapté au site sur lequel il s’implante. En plus de la labellisation écoquartier, l’opération s’inscrit dans les démarches quartier durable méditerranéen (QDM) et bâtiment durable méditerranéen (BDM).
Quelle place occuperont les espaces naturels dans ce futur quartier ?
Ils ont une place essentielle par la surface qu’ils occupent et par les fonctions qu’ils remplissent. Ainsi, 50 % des espaces sont des espaces verts de pleine terre. La végétation existante, témoin de l’histoire du site, est préservée au maximum et complétée par une palette végétale diversifiée et adaptée.
Au-delà de leur fonction paysagère, les bénéfices des espaces naturels en milieu urbain sont aujourd’hui largement reconnus : préservation et développement de la biodiversité, lutte contre l’imperméabilisation des sols, limitation des effets d’îlot de chaleur, bénéfices pour la santé des habitants, espaces de culture au travers de jardins partagés et de vergers qui favorisent le lien social entre les habitants. De plus, les espaces verts répondent à une attente forte de la population.
Au sein de la ZAC, les immeubles seront pour la plupart plus hauts que ne le sont à l’heure actuelle la plupart des constructions de Solliès-Pont, a-t-il été aisé de faire adhérer les habitants au projet ?
Dès les premières réflexions sur le projet, un comité consultatif de concertation a été mis en place et il nous accompagne encore aujourd’hui. Il se compose d’élus du conseil municipal, de représentants d’associations, de riverains, de locataires de logements locatifs sociaux. Maintenant que les premiers logements ont été commercialisés, nous souhaitons également y associer les futurs habitants, notamment pour les sensibiliser à la démarche écoquartier.
Ce comité a été consulté sur de nombreuses thématiques telles que la biodiversité et le paysage, l’occupation des sols et les formes urbaines, les ressources en eau, les déplacements, les usages des espaces publics ou encore l’architecture au regard des performances environnementales des bâtiments. C’est un lieu d’échanges entre élus, techniciens et habitants ; chacun apporte ses connaissances. Il a permis de réaliser un véritable travail de pédagogie en particulier sur la densité. En effet, la densité verticale est indispensable pour conserver des espaces naturels et limiter la consommation foncière. Toutefois, il faut prendre en compte le tissu urbain environnant. Ainsi, sur le projet d’écoquartier une densité progressive a été définie. Les immeubles en R+3 avec attique sont implantés au cœur du projet tandis que des lots à bâtir sont créés en continuité de l’habitat pavillonnaire existant.
Cet équilibre entre nature et hauteur, c’est selon vous une réponse propre aux besoins de Solliès-Pont ou un modèle reproductible ailleurs ?
La politique de l’étalement urbain a montré ses limites ; elle n’est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité. Il est donc nécessaire de densifier par la hauteur afin de préserver des espaces de nature en milieu urbain et de ne pas étendre l’urbanisation sur les espaces agricoles et naturels. Sur Solliès-Pont, les zones agricoles et naturelles couvrent, d’ailleurs, 75 % du territoire communal et participent à garantir un cadre de vie agréable. L’ambition de ce projet n’est pas de créer un modèle reproductible car un écoquartier doit s’adapter à son contexte. Toutefois, il montre qu’il est possible de sortir des schémas habituels, notamment en recherchant un équilibre entre nature et hauteur. De plus, cette opération témoigne du fait que les projets vertueux et ambitieux ne sont pas réservés aux métropoles ou aux grandes villes.
Interview de Julien Meyrignac, urbaniste en charge du projet :
Est-il aisé de concilier dans un même projet urbain qualité paysagère, mixité des usages et place de la nature ?
Non seulement cela n’est pas compliqué, mais cela tombe sous le sens de l’époque et c’est désormais une exigence citoyenne. Notre travail d’urbanistes concepteurs est engagé dans l’an II de la performance globale. Celle de la renaturation pour réintroduire et diffuser la biodiversité, lutter contre les îlots de chaleur. Celle de la facilitation des liens sociaux par une mixité sociale subtile, mixant les typologies et diversifiant les statuts ; et par la valeur d’usage des espaces et équipements publics ou communs. Et celle d’une certain attachement au bien, au bon et au beau, qui s’incarne bien évidemment dans la « production » d’un paysage et d’une architecture. Vous mesurez bien que ces dimensions développent naturellement des liens forts d’interdépendance et complémentarité ; il nous appartient de les augmenter pour établir une nouvelle urbanité : comprendre et pratiquer l’écologie, apprécier et entretenir son cadre de vie. Dans un quartier dont 50% des logements produits seront sociaux, c’est une grande responsabilité et une certaine fierté.
Qu’apporte selon vous à un projet tel que la ZAC des Laugiers sa labellisation comme éco-quartier ?
Pour l’urbaniste concepteur, la labellisation n’a jamais été une fin en soi, elle ne l’est donc pas sur ce projet…et à terme le bon sens voudrait même qu’elle devienne norme, donc discrète. Mais elle est importante en terme de pédagogie et d’appropriation par le grand public et par les futurs habitants et usagers. Pour eux, elle pose des exigences et crée des responsabilités nouvelles, elle impose certaines règles et suggère certains comportements. Plus qu’une reconnaissance du quartier à la livraison, elle doit être la garante de la pérennité des engagements de performance dans le temps. C’est cette dimension qui nous intéresse le plus, nous ne considérons pas un écoquartier comme un laboratoire ou une expérimentation, nous voulons offrir à tous les habitants un cadre et des conditions de vie qui les rende fiers et par là même les engage dans des usages, des réflexes vertueux.
Comment avez-vous travaillé la place des espaces naturels dans le projet ?
D’abord nous avons hérité de grandes orientations fixées dans le dossier de Création de ZAC, mais nous les avons ancrées plus intimement dans le contexte, la géographie naturelle et humaine du site et son environnement. Nous avons notamment accordé une plus grande importance au grand paysage et à la manière d’établir des trames écologiques, pour que le quartier devienne une sorte de plaque tournante. Nous nous sommes aussi beaucoup intéressés à la place de l’agriculture, du maraichage et de la culture fruitière : nous avons repris et développé les canaux d’irrigation, dessiné des jardins partagés qui ici ne sont pas des cautions ou de fausses bonnes idées, mais correspondent bien à l’identité des lieux et aux pratiques culturales, souvent vivrières, sur de petites parcelles.
Mais la composante déterminante du parti d’aménagement, celle qui fait sa grande force, c’est l’effacement de la voiture dans un contexte où -en l’état actuel de l’éloignement des zones d’emploi et de l’offre très limitée en transports en commun- elle est nécessaire à chacun. Nous avons limité les circulations automobiles à la périphérie, et nous avons convaincu sur la mise en place de parkings silos, des structures qui pourront évoluer dans leurs fonctions avec le temps. C’est un gain d’emprise énorme à l’échelle d’une opération comme les Laugiers.
Quelle a été la place des habitants dans la conduite du projet ?
L’écoquartier des Laugiers est une greffe du centre-ville de Solliès-Pont, et dès l’origine, la commune et l’Etablissement Public Foncier Régional, ont souhaité que toute la population soit associées à l’élaboration du projet, sa programmation, son parti d’aménagement, sa performance environnementale. Cette concertation élargie a produit, sur la base d’ateliers, de réunions (etc) des orientations très claires sur des questions sensibles, comme le commerce et le fait que l’opération n’en comporte pas pour créer des synergies quotidiennes avec le cœur de ville voisin. Elle a permis d’établir un dialogue plus que constructif avec les riverains immédiats de l’opération, qui tous habitent en maisons individuelles.
L’équilibre entre nature et hauteur auquel parvient le projet des Laugiers, c’est une réponse propre aux caractéristiques de Solliès-Pont ou un modèle reproductible ailleurs ?
Il s’agit d’une réponse contextuelle, telle qu’on devrait la trouver partout ! Il faut trouver des réponses aux nouvelles équations posées : le zéro artificialisation nette et la rationalisation foncière. Il faut faire comprendre aux élus et aux habitants que la densité est une notion relative, qu’elle peut s’exprimer à travers des formes urbaines et des architectures très variées. La grande force du parti d’aménagement de l’écoquartier des Laugiers, c’est de proposer une grande diversité de typologies bâties : de la maison individuelle aux immeubles collectifs, en passant par des propositions originales d’individuel groupé dense -qui rappelle le béguinage-, et de collectif intermédiaire conçu comme de l’individuel « empilé ».
Nous avons développé du collectif et recherché de la hauteur pour limiter l’empreinte des bâtiments et préserver les espaces de pleine terre pour la nature et les aménagements paysagers ; mais aussi parce qu’il structure le quartier et contribue à produire un environnement de qualité, en canalisant le vent, en développant des ombres portées…
Et qu’il permet au plus grand nombre de mieux tirer profit du grand cadre paysager, lointain et proche.
Qu’est-ce qu’un éco-quartier ?
Afin d’être officiellement labellisé ÉcoQuartier, un projet d’aménagement doit répondre aux besoins individuels en termes de logement mais aussi se répercuter de manière plus large sur l’ensemble des besoins de la vie quotidienne. Il doit ainsi prendre en compte les modes de déplacements vers le lieu de travail, les systèmes de mobilité au sein du territoire et les services aux habitants avec une dimension sociale forte, l’objectif étant de s’adresser à tous les habitants. Réduction de l’impact environnemental des bâtiments, maîtrise des déchets, préservation de la biodiversité… La mission de ces nouveaux quartiers est de répondre aux problématiques posées par la vie en collectivité, avec une aspiration environnementale forte.