Demain, il y aura trois urgences auxquelles il faudra répondre : l’urgence sociale, l’urgence écologique et démocratique
Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.
Experts, observateurs, usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.
Nicolas Sansu est Maire (PCF) de Vierzon, depuis 2008, il a également été député du Cher de 2012 à 2017.
Concernant la crise que nous vivons actuellement, à travers le confinement ainsi que l’évolution des usages liée, quelles observations FaiteS-VOUS ?
Nous subissons cette crise sanitaire et le confinement qui lui est lié dans un moment où les liens sociaux peuvent passer par les voies numériques pour beaucoup de nos concitoyens, même si certains en restent exclus et je pense aux plus âgés. Alors que cela change-t-il ? Pas grand-chose par rapport à la situation que nous vivions avant le confinement. Car le temps que nous vivons est impacté directement. On observe en effet, que l’immédiateté et l’accélération de nos rythmes sont présentes aujourd’hui comme dans la vie « normale ». A l’inverse, imaginons le confinement il y a 30 ans : nous aurions utilisé le téléphone et la presse locale. Quant aux réponses apportées notamment aux plus fragiles, elles seraient passées par ces canaux. En réalité, j’observe donc que le confinement tend à exacerber ce que nous vivons déjà, par exemple, les fake news locales, des débats (parfois vifs) sur des sujets locaux (faut-il interdire ou non les marchés?), les avis tranchés et souvent péremptoires. Alors aujourd’hui, les collectivités locales utilisent abondamment les réseaux sociaux, les sites institutionnels pour communiquer à la population et aussi pour faire perdurer le service public local dans toutes ses dimensions, en évitant, autant que faire se peut, les polémiques stériles.
L’autre point est de préserver une visibilité de terrain avec des services que nous rendons à la population tels que la propreté, le soutien logistique aux services de santé, le soutien aux entreprises et aux commerces, la lutte contre l’isolement et la préservation de la tranquillité publique.Il convient également de s’astreindre à profiter de ce temps « étrange » pour faire communauté et à ce titre, internet est un canal qui permet le maintien d’actions culturelles, de découvertes patrimoniales et autres jeux en ligne… L’observation que je peux donc faire, c’est l’image de l’apnée profonde où le cœur se ralentit, où tout doit être harmonieux, calme sans tomber en syncope. La ville ralentit son rythme et le maire et ses collaborateurs les plus proches, en lien avec les services de l’État, de l’ARS sont au four et au moulin pour éviter cette syncope !
Le retour au local et le renforcement des liens intra-territoriaux semblent être de mise pour répondre aux enjeux de la situation actuelle, cela vient-il bouleverser l’organisation de votre territoire ?
Certes, on observe ce que l’on appelle des liens intra-territoriaux, mais s’ils se font facilement c’est que le lien était en réalité sous-jacent. Prenons un exemple concret : la ville de Vierzon a fait jouer ses connaissances pour obtenir quelques milliers de mètres carrés de tissus afin de faire fabriquer, par une entreprise locale, des masques dits alternatifs en essayant de parvenir à un masque par habitant.
De la même façon, on nous parle beaucoup du retour au local, vers les producteurs locaux. Nous avons nous-mêmes mis en place des drive fermiers. Alors c’est vrai ce retour au local existe. Mais dans le même temps, on observe aussi que les commerces de grande et moyenne surface ont augmenté leur chiffre d’affaires ! Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir acheter des légumes bio qui sont au moins 1,5 fois plus cher que les produits importés d’Espagne par la grande distribution. C’est une des problématiques qui perdure. Il en va donc aussi de notre responsabilité à tous, de réfléchir collectivement à des moyens pour faire évoluer nos modèles, face à crise que nous vivons aujourd’hui.
Certains liens intra-territoriaux se développent, mais je ne dirais pas que cela bouleverse l’organisation du territoire. En revanche, l’exigence de protection légitime devra s’appuyer sur une réponse plus territoriale. En faisant nôtre l’optimisme de la volonté, nous devrons réorienter les politiques locales et coordonner les actions de territoire vis-à-vis du respect de l’être humain.
À l’échelle de votre commune, observez-vous des phénomènes de solidarité qui se mettent en place ? Pensez-vous que cela puisse engager à l’avenir de nouvelles dynamiques pour la suite et plus précisément pour l’après confinement ?
Bien sûr que des phénomènes de solidarité s’organisent partout sur le territoire, avec des citoyens impliqués qui lancent des réseaux de confection de masques, qui organisent des gardes d’enfants de soignants, ou qui se proposent de ravitailler des personnes âgées isolées. Ces phénomènes viennent souvent compléter des services municipaux et des initiatives institutionnelles très poussées. Mais le coronavirus et la solidarité de destin face à la pandémie n’ont pas effacé tous les traits des êtres humains, ils en ont masqué certains et celles et ceux qui étaient déjà impliqués dans la vie citoyenne le sont encore plus. On pourrait parler de militance contre le coronavirus et pour le bien commun !
Ce qui est sûr, c’est qu’une mise en réseau via les réseaux sociaux de groupes d’entraide et de soutien, ont pris de l’ampleur. Ce que l’on remarque, c’est aussi la porosité entre action publique institutionnelle : des masques sont achetés par la ville à des confections, des masques sont réalisés par des bénévoles et tous sont distribués aux Vierzonnais par exemple. Cette porosité et ces nouvelles pratiques que l’on percevait au niveau de la démocratie locale, sur la participation citoyenne, vont devenir le quotidien de l’exercice des élus locaux. Il ne faudra pas rater cette dynamique sur les enjeux pour la Ville.
En tant qu’élu, quelles seront les conséquences que vous pourrez tirer de cette crise dans la gestion de votre territoire ? COMMENT les territoires pourront-ils DEVENIR plus résilients AVEC CET EPISODE ?
La grande question qui se pose pour la gestion des collectivités est la suivante : allons-nous inverser la tendance qui consiste à consommer du service public local et aller vers un retour de l’intérêt général, ou non ? C’est la leçon que nous devrons apprendre de cette crise.
L’autre point qui rejoint la question précédente tendra à regarder si certains services collectifs sont mieux pris en compte par les citoyens eux-mêmes, avec le respect de règles communes simples, ce qui simplifierait la vie des collectivités locales. Si cette crise permet cette rupture dans les consciences, alors une nouvelle phase des politiques publiques locales pourra s’écrire et cette phase sera même passionnante.
Pour quelle raison est-ce que je pose cette problématique ? Tout simplement parce que la crise du coronavirus nous oblige et oblige toutes les institutions à aller à l’essentiel. Le sens du service public est évident. Il y a deux ans, Vierzon, a connu une mobilisation historique en faveur de son hôpital, mobilisation à laquelle le Maire et les élus ont grandement contribué. Cette mobilisation fut victorieuse avec le maintien de tous les services. Nous avions alors des voix dissonantes… Aujourd’hui, ces voix sont atones, personne n’ose plus avouer que le bon chemin était de supprimer des lits, fermer des services ou supprimer des postes de soignants…
Alors lorsqu’on gère une telle crise, le maire que je suis, se dit que demain, il y aura trois priorités, trois urgences auxquelles il faudra répondre : l’urgence sociale, l’urgence écologique, l’urgence démocratique et que la réponse à ces trois urgences sera la seule à donner du sens à notre communauté humaine.
Cette période de crise pousse chacun à se réorganiser, citoyens, entreprises, territoires. et le rôle d’élu est plus que jamais important. À la sortie de cette crise, pensez-vous que le rôle du maire aura évolué ?
Le rôle de maire a déjà grandement évolué ces dernières années. S’il existe une méfiance moins grande des citoyens vis-à-vis des politiques, elle est en effet moins importante à un échelon local. En revanche, elle existe tout de même. Si l’on caricaturait, on dirait que de plus en plus de nos concitoyens sont devenus consommateurs et que l’on attend toujours plus des maires. Bien entendu, de nombreux habitants ont toujours du respect, de la sympathie et de la confiance envers leur maire. Mais ce qui se joue dans les temps très difficiles comme celui que nous vivons aujourd’hui, c’est que le maire et l’administration sont un véritable point de repère sur un territoire. Cela redonne, au sens noble du terme, de l’autorité.
Cela n’est possible que si les actions pour organiser la protection, pour maintenir le lien social, pour porter les besoins du territoire, sont expliquées en toute transparence. Alors, oui les élus devront retrouver de la transparence et une action encore plus proche auprès des citoyens. Pour exemple, nous allons réussir à obtenir 1 masque par personne pour les habitants de la ville. Certains seront d’ailleurs confectionnés par des couturières solidaires. Mais dès qu’ils seront prêts, il va falloir organiser un porte à porte géant pour les porter dans les boîtes aux lettres des habitants. Ainsi, sur des sujets majeurs, comme celui-ci, il est nécessaire d’être en contact direct avec la population et cela, c’est vraiment de la démocratie !
À la sortie de cette crise, le maire devra endosser trois rôles : protéger, unir et porter la voix. Car les maires ne pourront pas s’affranchir de porter la voix du territoire pour que l’Égalité soit mieux assurée et que tous les citoyens soient protégés.