« L’après-crise réconciliera les notions de e-commerce et de local »
Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.
Experts, observateurs , usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.
Antoine Carteyron est le Directeur Général France de Stuart, une plateforme de livraison à la demande qui permet aux entreprises d’optimiser leurs opérations sur le dernier kilomètre — via la livraison en une heure ou le jour même. Il revient avec nous sur les conséquences de la crise sanitaire actuelle sur nos comportements, et sur les enjeux à venir pour les petits commerces.
En quoi les acteurs de la logistique urbaine – comme Stuart – sont-ils devenus des maillons clés de la smart city en cette période de confinement ?
La logistique urbaine joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement des commerces et des particuliers. Dans le spectre général de la logistique urbaine, la livraison à domicile permet de ravitailler la population en produits de première nécessité (denrées alimentaires, médicaments…). On circonscrit trop souvent la livraison à domicile en ville à des produits dits récréatifs ou de confort. Cette conception est réductrice.
Chez Stuart, nous avons mis notre plateforme au service des acteurs les plus touchés ou sollicités en renforçant notre collaboration avec les distributeurs alimentaires, petits commerçants et acteurs de la santé. Nous enregistrons une augmentation de 250% des livraisons de paniers de course et de 300% des livraisons de médicaments à domicile. Les places de marché locales partenaires de Stuart ont quant à elles multiplié leur nombre de livraisons par 10.
Quels nouveaux besoins et nouveaux usages voit-on émerger dans ce contexte inédit ?
Si l’on prend une journée type chez Stuart en période de confinement, on constate que c’est la livraison d’utilité publique qui s’impose majoritairement, bénéficiant à des familles, des personnes âgées ou isolées. Les livraisons de repas ont été remplacées par l’acheminement de courses alimentaires, permettant à des centaines de milliers de familles de se ravitailler via nos partenaires Franprix, Carrefour, Monoprix, Auchan ou Bio c’ Bon.
Dans le même temps, de nombreux petits commerçants et producteurs locaux, très durement touchés, ont commencé à avoir recours à la livraison à domicile pour poursuivre leur activité malgré le confinement. Ces commerçants peu digitalisés sont une priorité de Stuart depuis des années mais nous avions des difficultés à leur faire adopter le service, faute de maturité digitale et certainement de temps. Avec la crise, ils sont des milliers à passer directement par Stuart ou à proposer leurs produits sur des marketplaces locales comme Epicery ou Ollca.
Une logique similaire s’applique au monde des pharmacies qui était très peu digitalisé jusqu’ici. À ce titre, nous sommes fiers d’accompagner plusieurs groupements pharmaceutiques et pharmacies indépendantes. L’accès aux médicaments à domicile est essentiel dans ce contexte, notamment pour les personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques.
Pensez-vous que cette crise va installer durablement de nouveaux comportements ? La livraison de produits locaux va-t-elle perdurer d’après vous ?
La crise impose à tous les commerçants et producteurs qui souhaitent maintenir leur activité d’avoir recours au digital en général et à la livraison en particulier. L’enjeu est de savoir si la radicalité d’aujourd’hui aura des effets durables demain. Cette transition “à marche forcée” a le mérite de réduire la complexité perçue par les commerçants. De plus, ils s’aperçoivent que la livraison entraîne nécessairement une augmentation de leur chiffre d’affaires, particulièrement dans le secteur alimentaire.
Par ailleurs, les consommateurs réapprennent collectivement l’importance de la production et du tissu économique local. Il y a fort à parier que l’après-crise réconciliera les notions d’e-commerce et de local : quitte à recevoir des produits à domicile, autant qu’ils soient issus de la proximité.
N’oublions pas non plus le rôle des municipalités et des chambres de commerce : les pouvoirs publics locaux prennent la pleine mesure de l’importance de la digitalisation des petits commerces et des opportunités ouvertes par les places de marché locales. Il ne serait pas surprenant que des initiatives portées par des acteurs publics et privés voient le jour dans les semaines suivant la sortie de crise.
Grâce aux atouts de la livraison du dernier kilomètre*, cette crise peut-elle devenir un tremplin pour les entreprises locales ?
La crise actuelle propulse la livraison de proximité comme l’une des solutions providentielles du petit commerce. Au sortir de la crise, avec des consommateurs rompus à ces nouveaux usages, de nombreuses opportunités seront à saisir pour le petit commerce dont le principal défi sera de pérenniser ces nouveaux canaux de vente et de démontrer leur complémentarité avec les réseaux physiques.
Le confinement a mis en lumière l’un des talons d’Achille du petit commerce sur lequel il convient de s’interroger. En dehors des relations directes qu’ils entretiennent avec leurs clients sur leur point de vente, ils sont très peu à avoir la capacité d’engager leur clientèle à distance. Aussi, le confinement s’est traduit pour les commerces non-vitaux, fermés au public, par un arrêt abrupt de toute activité commerciale, faute de canal e-commerce et de capacité de livraison. Les commerçants toujours ouverts n’ont eu d’autre choix que d’attendre leurs clients, faute de mieux. Nous espérons que cette crise sera l’opportunité de redéfinir la relation client de proximité, en profitant du pouvoir de l’omnicanal, rendu au petit commerce.
Quels enseignements durables peut-on tirer de cette crise en vue d’imaginer la ville de demain ?
Nous pensons que la ville de demain aura définitivement intégré la valeur du local en même temps que l’importance de la livraison comme un service rendu aux habitants-consommateurs. Mais la ville doit respirer, ce qui est contre-intuitif avec le développement de la livraison. C’est pourquoi la livraison gagnante de demain sera locale, écologique, intelligemment orchestrée et devra avoir un impact social positif. Les villes doivent prendre au sérieux le sujet de la digitalisation des commerces en s’alliant à des acteurs privés pour créer des solutions industrialisables à même d’être des contrepoids aux géants anglo-saxons du e-commerce et de la livraison qui ont su, de leur côté, se mettre en ordre de bataille très rapidement au début de cette crise.
La ville de demain demandera de l’apaisement, exigera que ses acteurs locaux puissent coexister et se développer aux côtés des géants du e-commerce, entendra réduire la fracture numérique pour servir aussi bien les générations les plus connectées que les personnes les plus isolées. L’espace et le temps devront être restitués aux habitants : ce n’est plus une option.
*Dans le domaine de la logistique et en particulier du transport, le terme « dernier kilomètre » désigne l’étape finale du processus de livraison des marchandises vers le lieu de destination indiqué par le client.