Montréal, modèle vivant du co-urbanisme ?
Marie et Mïa sont deux étudiantes en entrepreneuriat à l’Université Paris-Dauphine qui ont décidé de partir observer les initiatives urbaines de 6 villes d’Amérique du Nord ! Pendant 6 mois, Envies de ville va suivre et publier les réflexions et les découvertes de ces deux reporters autour des innovations en termes d’urbanisme de l’autre côté de l’atlantique.
Après avoir arpenté la ville moderne et ses quartiers bigarrés, découvert le caractère amical des Montréalais, vécu l’hiver, le vrai, nous avons dressé un portrait de Montréal, une ville pensée par et pour ses habitants.
Les grandes avenues quadrillent la métropole québécoise et délimitent les différents quartiers, formant un grand patchwork culturel. Au-delà de ce multiculturalisme identitaire, ce n’est pas la nordicité de la ville qui la rendrait moins chaleureuse, au contraire ! Loin des inquiétudes que la neige pourrait susciter chez nous, Montréal s’approprie mieux que personne la saison hivernale : festivals et jeux de lumières, places animées et patinage sur l’une des 40 patinoires. La deuxième ville du Canada n’hiberne donc pas : l’hiver transforme simplement la ville en un nouveau terrain de jeux.
Et ici, on se salue affectueusement avec un « salut, ça va ? » partout où l’on va. En bref, il est difficile de ne pas s’y sentir bien ! Il suffit de se balader dans la ville pour comprendre que son apparence stricte et quadrillée ne reflète en rien sa mentalité.
Nombreuses sont les initiatives mises en place à l’échelle de la ville, du quartier ou de la ruelle. Et pour cela, la parole des habitants est de mise !
La parole aux Montréalais
Si le Québec a développé ses premiers plans d’agglomération plusieurs décennies après ceux des métropoles européennes, à la fin des années 60, la province a rapidement développé « un modèle de consultation publique pour penser la ville avec ses citoyens » comme l’explique Gérard Beaudet, ex-directeur de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Historiquement, ce modèle concentré sur l’accompagnement s’organise en deux temps. Un premier temps est consacré à la présentation du projet lors d’une séance plénière durant laquelle les citoyens sont invités à poser des questions, suivi d’un deuxième temps d’échange lors duquel les citoyens peuvent se positionner et participer au développement du projet en exposant leurs opinions.
Ce modèle a ensuite inspiré d’autres démarches et la municipalité a développé de nombreux leviers d’action : avec la mise en place d’assemblées participatives, les habitants ont rapidement eu la possibilité de se faire entendre.
Au début des années 2000, la démarche de consultation citoyenne a pris de l’importance dans la ville, notamment avec la constitution de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Cet organisme indépendant est en charge des consultations publiques confiées par la municipalité dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement.
À titre d’exemple, l’une des consultations du moment de l’OCPM porte sur la rénovation d’un ancien hippodrome et ses abords. Lors de cette consultation, les citoyens sont invités à s’informer dans un premier temps grâce à des séances d’information en ligne ou en présentiel, un forum ouvert à tous et des ateliers de concertation (sur invitation). Les citoyens qui le souhaitent peuvent ensuite émettre leur opinion par écrit et/ou verbalement lors d’auditions. L’ensemble de ces opinions feront l’objet d’un rapport rédigé par la commission à destination des élus.
Parallèlement, la grande diversité des quartiers a également conduit à la mise en place de la Coalition montréalaise des Tables de quartier (CMTQ) dans les mêmes années. Cette coalition, qui rassemble plus d’une trentaine de « Tables de quartier » a pour objectif d’améliorer la vie urbaine des quartiers : les rendre socialement meilleurs et en faire un lieu de participation citoyenne. Les consultations locales, via des sondages et des forums principalement, permettent de comprendre les enjeux propres à chaque quartier et les besoins de ses habitants pour pouvoir ensuite agir justement. Chaque table de quartier a son propre fonctionnement pour s’adapter au mieux aux particularités de son quartier. Et désormais, la CMTQ est un acteur incontournable du développement social urbain et elle est sollicitée pour participer à des débats publics sur le développement de la ville.
Aujourd’hui plus que jamais, la culture d’urbanisme participatif s’implante à Montréal sous le mandat de la mairesse, Valérie Plante. La métropole encourage ainsi les citoyens à participer et à imaginer avec elle la ville de demain. Et après ?
De l’urbanisme participatif à la gouvernance participative des organismes urbains
La dynamique ne se cantonne pas à cette simple démarche consultative : de nombreux acteurs urbains fonctionnent avec une gouvernance participative, un modèle qui implique diverses parties prenantes. Donner davantage la possibilité d’agir aux habitants pour leur quartier est le résultat d’une volonté politique de la ville.
Le Partenariat du Quartier des spectacles (PQDS), organisme à but non lucratif, est un bon exemple de cette volonté en faisant collaborer la ville avec différents acteurs du Quartier des spectacles, situé au cœur de Montréal.
D’abord pensé comme un levier de développement social et économique de la ville, cet organisme s’occupe de l’animation culturelle des espaces publics du quartier, avec une programmation riche été comme hiver : mise en place d’infrastructures adaptées aux spectacles à ciel ouvert, animations lumineuses et sonores, mobilier urbain unique… Ce quartier est un véritable terrain d’expériences interactives !
Déjà en 2013, le PQDS avait déployé son animation « Mégaphone » dans le quartier, qui consistait à projeter sur un bâtiment les mots et revendications des participants qui voulaient bien s’exprimer au mégaphone. Plus récemment, les « 21 Balançoires », installations éphémères qui renaissent chaque printemps, permettent de créer une mélodie lorsque plusieurs personnes se balancent, chaque balançoire émettant une note. Ce ne sont que quelques exemples de la large programmation qui a redynamisé le quartier et créé une interaction sociale importante dans l’espace public.
Soutenu par la ville, le PQDS travaille avec divers acteurs car il ne peut se restreindre à penser qu’au développement culturel du quartier : il faut aussi s’attacher aux enjeux de cohabitations sociales, aux enjeux économiques, aux enjeux de développement immobilier, etc. Son conseil d’administration compte notamment des représentants de la culture, de l’éducation, des institutions, de la ville de Montréal mais aussi des résidents. Jozef Fleury-Berthiaume, chargé de projets au développement au PQDS ajoute « La particularité de notre réussite, c’est la gouvernance avec un grand nombre de parties prenantes. Ça avance plus lentement, mais quand on présente un projet on s’assure d’avoir l’aval de tout le monde ». Et la réussite du PQDS n’est plus à prouver !
Le soutien de la ville est donc important et présente des opportunités, notamment financières, mais aussi certaines limites règlementaires. Si les initiatives publiques ne manquent pas, les citoyens vont encore plus loin en s’organisant ensemble pour aménager une friche, un jardin partagé ou pour créer de l’animation dans les ruelles…
Un véritable réseau d’entrepreneurs sociaux
Lorsque les citoyens souhaitent s’impliquer pour des projets, ils sont aujourd’hui nombreux à se regrouper pour former de nouvelles communautés, des collectifs capables de porter des projets de plus en plus ambitieux. Parmi les projets découverts, en voici deux qui illustrent bien cet engagement citoyen, un choix difficile quand on connait le nombre d’initiatives ici.
Le Bâtiment 7, un « bâtiment pour la communauté » ou une « fabrique d’autonomie collective » occupe un ancien espace industriel situé sur les vestiges ferroviaires de Pointe-Saint-Charles. Ce lieu s’est transformé grâce à la mobilisation populaire autour de celui-ci. Face à Loto-Québec, positionné pour récupérer ce bâtiment, le quartier, réputé militant n’a pas baissé les bras. Et si la lutte pour s’approprier le Bâtiment 7 a été longue, c’est le collectif 7 à Nous, réunissant citoyens et divers organismes issus de l’économie sociale, qui a fini par triompher !
Il accueille désormais une microbrasserie, une épicerie participative et de nombreux ateliers partagés ; projet ouvert à tous, il subvient aux besoins des habitants tout en s’inscrivant dans une démarche de développement urbain durable. Quel lien avec le quartier ? L’intention de ce projet est d’ouvrir le bâtiment vers le reste du quartier pour créer de nouvelles dynamiques et pour inciter les citoyens à se mobiliser, s’impliquer. Propriété collective autogérée, le fonctionnement de cet espace présente un nouveau modèle d’engagement social et prouve la possibilité d’avoir une prise de décision très locale. Ici, les membres provoquent eux-mêmes le changement sans attendre qu’il vienne d’ailleurs.
Le collectif autogéré Solon, né d’un rassemblement de citoyens de l’est de Montréal autour d’un projet de verdissement d’une ruelle, accompagne aujourd’hui le déploiement de projets locaux de plus grande ampleur. Un membre de ce collectif nous explique « (qu’) il y a eu l’envie d’aller plus loin dans cette réflexion de l’animation du milieu de vie et comprendre ce qui peut être fait à notre échelle ». Car ces projets, ce sont ceux des habitants du quartier qui souhaitent participer à la transition socio-écologique de la ville en apportant leur temps et leur expertise.
« À travers l’action locale, les gens sont capables de s’impliquer et d’augmenter leur capacité d’agir ! » ajoute un autre membre du collectif. Reposant sur une démarche de co-construction et sur la théorie des communs, les projets vont être porté efficacement dans le quartier, et même à plus grande échelle. L’un des projets phares, « Celsius », a pour but d’alimenter les logements par la mise en place d’un réseau de chaleur géothermique local. Comme ceux du Bâtiment 7, les membres du collectif sont conscients qu’ils doivent agir à leur échelle pour atteindre les objectifs qu’ils se donnent. D’ailleurs, le collectif a créé un fond local qui permet de financer certains projets citoyens sans qu’ils aient besoin d’être déclarés pour recevoir des subventions.
Et un étudiant témoigne : « Montréal ne se distingue pas pour un seul projet : Champ des possibles, le Village au Pied-du-Courant, Viaduc 375, les Jardins Gamelins, AcadieLab, le Marché des Ruelles, … ». Au contraire, sa force réside dans la diversité des démarches, des initiatives, des espaces dans les différents quartiers : la ville se vit comme un véritable réseau !
Montréal, ville chaleureuse, cosmopolite et participative
Nos rencontres et notre expérience de la ville nous laissent l’impression que Montréal a donné à ses habitants un pouvoir de parole et d’action : un droit à la ville. La mentalité de ses habitants, la taille de la municipalité et sa configuration sont des conditions très favorables à ce fonctionnement, mais ce sont surtout les initiatives des différents acteurs urbains qui garantissent ce dynamisme. Si l’administration montréalaise laisse la place à l’engagement collectif, elle doit maintenant offrir la confiance et les moyens supplémentaires aux acteurs locaux pour laisser les initiatives locales se développer et façonner les quartiers.
Les propos tenus dans cet article n’engagent que les auteurs