Action Cœur de Ville : « Les difficultés ne sont pas les mêmes selon les villes »
Lancé en mars 2018 par le gouvernement, le programme Action Cœur de Ville vise à redynamiser le centre de plus de 200 villes moyennes et à améliorer les conditions de vie des habitants de ces territoires. Aurélien Delpirou, maître de conférence à l’Ecole d’urbanisme de Paris, étudie notamment les effets de ce programme sur la réalité contrastée du terrain. Entretien.
Voici près de 2 ans, le gouvernement a engagé le programme Action Cœur de Ville, censé répondre à la perte d’attractivité du cœur d’agglomération de 222 villes moyennes. Quel regard portez-vous sur ce programme, sa philosophie générale et ses premières réalisations ?
On ne peut que se réjouir de cet engagement. La présence de ce programme à l’agenda politique témoigne, je le crois, d’une attention nouvelle portée à ces territoires. Et ses effets sont déjà visibles, grâce en grande partie à la mobilisation des acteurs locaux. Pour autant, à défaut de créer de véritables projets nouveaux, ce programme a accéléré des projets déjà en route. C’est d’ailleurs le bilan que l’on peut en tirer dès à présent : les villes qui avaient engagé des changements auparavant bénéficient tout particulièrement de ce programme. Pour les autres, hélas, les résultats sont moins probants.
Dunkerque, Châteauroux ou encore Bourges, avaient déjà entrepris des actions de revitalisation et réussissent leur transformation. Cela se traduit, par exemple, par l’implantation dans le cœur de la ville d’un centre commercial, ce qui permet de créer une dynamique autour de lui. Mais les villes les moins préparées ont plus de difficultés à trouver une résonance concrète dans le programme. Et cela, en raison du manque de préparation et du temps nécessaire à la hiérarchisation des décisions.
Marque-t-il selon vous une rupture dans la manière de penser l’aménagement du territoire ?
Il est intéressant de se souvenir que, dans les années 70, les villes moyennes avaient une importance capitale, avec la décentralisation ou encore les antennes universitaires. Mais dès les années 80 et 90, elles ont été marginalisées au niveau national au profit des grandes métropoles. Et aujourd’hui, nous assistons à un retour d’attention des politiques d’aménagement vers cette catégorie.
Nous sortons de 15 ans de compétitivité, d’excellence, de métropolisation, et par conséquent, de concentration humaine et financière sur les grands projets. La fin de ce cycle et Action Cœur de Ville représentent aujourd’hui un signal fort – donné par les pouvoirs publics – pour prendre en considération ces territoires. On peut bien entendu penser que la crise des gilets jaunes a renforcé la légitimité de ce projet en apportant une véritable prise de conscience.
En se focalisant sur 222 centres-villes, le programme ne prend-il pas le risque d’un simple déplacement des fractures territoriales auxquelles il ambitionne de répondre ?
Les catégories choisies par l’action publique sont un élément central. Action Cœur de Ville a fait le choix d’une définition extrêmement large des villes moyennes, très diversifiée, de Bagnols-sur-Cèze à Dunkerque, aux situations sociales et économiques parfois opposées. Cela inclut des villes en très bonne santé comme Vannes, ou à l’inverse comme Nevers, en difficulté. Cette décision admet donc que la catégorie « ville moyenne » a perdu de son sens.
Mais il y a bien sûr une limite dans cette approche standardisée. Vous ne pouvez pas agir de la même façon à Tulle, une ville de 15 000 habitants située dans un environnement rural, qu’à Colmar où il y a seulement 5% de vacance commerciale. Ou dans des villes en croissance démographique mais qui connaissent une vacance commerciale très importante, comme Béziers où le taux est de 25 %.
L’explication du déclin des centres-villes repose généralement sur un cercle vicieux entre vacance commerciale et résidentielle, comment agir concrètement pour le désamorcer ?
Il existe de nombreux cas de forte vacance commerciale qui enregistrent en parallèle une faible vacance résidentielle, principalement dans le bassin méditerranéen. Attention donc à l’erreur de diagnostic car la vacance commerciale pose problème seulement si elle entraîne une dégradation de l’espace public et une perte d’attractivité. Il ne faut pas confondre cause et conséquence. Certaines villes enregistrent par exemple une stagnation démographique mais leur centre résiste bien. Il n’y a donc pas de recette miracle et unique.
Quelle place occupe selon vous l’étalement urbain dans les difficultés des centres-villes ?
Il me semble que l’on ne s’en rend compte qu’aujourd’hui, à la faveur de la crise des gilets jaunes, des inondations, des constructions anarchiques en périphérie, et par conséquent de la dépendance à l’automobile. Nous en payons le prix social, urbain, et environnemental. Les politiques publiques des quarante dernières années ont développé ce modèle sans le justifier. Mais aujourd’hui, il y a une prise de conscience chez les élus et les habitants. Nous sommes arrivés à un seuil. Car si le centre devient répulsif, l’ensemble du bassin de vie peut se dégrader.
Mais il ne faut pas se leurrer, on ne retrouvera pas le niveau d’offres d’il y a 20 ans. Il est donc fondamental d’organiser la décroissance et, pourquoi pas, de faire de la vacance une opportunité foncière.
Au-delà d’Action Cœur de Ville, quels sont selon vous les déterminants d’une relation vertueuse entre centre et périphérie hors des grandes aires métropolitaines ?
Les villes moyennes enregistrent de nombreuses opportunités et ne vont pas aussi mal que le tableau que l’on dresse à leur sujet. N’oublions pas non plus que les élus locaux sont mobilisés et que, dans leur grande majorité, les habitants sont satisfaits d’y vivre. Méfions-nous du point de vue métropolitain qui leur tend un miroir déformant. Il existe des villes moyennes dynamiques qui portent des projets, des innovations très intéressantes qu’il faut valoriser. Et le programme Action Cœur de Ville joue son rôle de flèche, de coup de projecteur.