Artificialisation des sols : que faire ?
Le gouvernement a adopté cette année l’objectif « zéro artificialisation nette », une ambition qui appelle des mesures parmi lesquelles figurent la densification des espaces urbains, la lutte contre la vacance de logements ou encore l’augmentation de la valeur des terres agricoles. Des mesures orientées vers l’objectif de limiter, voire compenser l’artificialisation des sols, nuisible à la biodiversité et à l’origine de nombreuses catastrophes naturelles. Mais que signifie cet engagement ? Le point avec Sandrine Bélier, Directrice de l’association Humanité et Biodiversité.
L’artificialisation des sols est au cœur de l’actualité environnementale. En quoi est-ce un axe stratégique dans la protection de l’environnement ?
1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction selon le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Un « déclin sans précédent » auquel participe largement l’artificialisation des terres : routes, zones commerciales, habitations, étalement urbain et constructions diffuses détruisent les habitats naturels et les continuités écologiques nécessaires à la faune sauvage pour circuler. Il devient donc urgent de freiner l’artificialisation des sols et de renaturer les espaces qui peuvent l’être. C’est l’ambition de l’objectif « zéro artificialisation nette » inscrit au plan biodiversité présenté par le gouvernement à l’été 2018.
La destruction et la fragmentation des habitats naturels, en d’autres termes l’artificialisation des sols est identifiée comme l’une des 5 grandes pressions exercées sur la biodiversité. Lutter aujourd’hui contre l’artificialisation est devenu un enjeu majeur pour lutter contre la perte de biodiversité mais aussi contre les risques de crues et d’inondations, les risques de pollutions des nappes phréatiques et des cours d’eau, contre les phénomènes d’îlots de chaleur urbains, contre la perte de fonctionnalités des sols et de leur capacité de stockage de carbone.
Stopper l’artificialisation est aujourd’hui reconnu comme un enjeu majeur parce que ce phénomène touche l’ensemble des composantes de l’environnement : eau, air, sol, biodiversité.
Pouvez-vous définir le concept de sols artificialisé/sols naturels ?
Le concept d’artificialisation n’est pas défini de manière univoque, même si la plupart des définitions existantes renvoie aux mêmes enjeux. Un espace artificialisé est un espace naturel, agricole ou forestier transformé pour un usage anthropique, que le sol soit revêtu ou stabilisé, bâti ou non. Il s’agit donc de sols bâtis à usage d’habitation ou à usage commercial (bureaux, usines…), de sols revêtus ou stabilisés (routes, voies ferrées, aires de stationnement…) ou encore d’espaces non construits mais fortement perturbés par l’activité humaine (chantiers, carrières, mines, décharges, etc.) Et il s’agit aussi des espaces verts artificialisés (parcs urbains et les jardins, équipements sportifs, etc).
Les sols naturels sont les sols qui bénéficient de toutes leurs fonctionnalités et qui n’ont pas subi de changements d’usages par l’humain.
Cette définition fait elle consensus ?
Cette définition fait l’objet de discussion, notamment en ce qui concerne les espaces verts et les espaces à usages agricoles et forestiers. Certains acteurs considèrent qu’un jardin ne devrait pas être considéré comme un espace artificialisé, car le sol n’est pas imperméabilisé, et que dans certains cas des jardins peuvent être gérés de manière à abriter une très grande biodiversité (c’est le cas des jardins qui accueillent les Oasis Nature de notre association). Pour autant, la construction d’une maison individuelle avec un jardin sur un espace naturel entraine généralement la destruction d’un écosystème et contribue à produire les effets de l’artificialisation sur la perte de la biodiversité. On pourrait également considérer que certains sols agricoles sont aujourd’hui des sols artificialisés dès lors qu’ils produisent les effets d’une artificialisation.
Il existe aussi des dissensus quant aux types d’activités qui sont considérées comme artificialisantes. Certaines activités, comme l’implantation de panneaux photovoltaïques, vont être considérées par certains comme non artificialisantes, car peu impactantes. Mais même si l’impact est plus faible que l’implantation d’une zone de stationnement, ce type d’installations peut produire des effets négatifs pour la faune et la flore selon la sensibilité du milieu naturel.
Un objectif, non contraignant à ce stade, que la Commission Européenne s’est fixé pour viser le zéro artificialisation nette à horizon 2050 annonce un plan, pouvez-vous nous parler de cet objectif et des moyens qui selon vous seront mis en place pour l’atteindre, notamment législatifs ?
La feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation de ses ressources fixe l’objectif de « supprimer à 2050 toute augmentation nette de la surface des terres occupées ». La Commission Européenne a également édité un rapport « Lignes directrices pour limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols. ». En 2011, elle recommandait déjà que d’ici à 2020, les politiques de l’UE tiennent compte de leur incidence sur l’utilisation des sols, de façon à « éviter toute augmentation nette de la surface de terres occupée » d’ici à 2050. C’est le concept de « zéro artificialisation des sols » repris aujourd’hui par un certain nombre de Gouvernements et de grandes collectivités locales dans les documents de planification.
Même si ces recommandations n’ont pas encore d’effets contraignant, on constate qu’elles ont tout de même une incidence directe sur la réglementation en France, notamment dans le domaine de l’urbanisme. Par exemple le Plan Cœur de Ville issu de la loi ELAN de 2019 ou encore pour ce qui concerne les friches pour lesquelles des pistes de réformes sont actuellement à l’étude par le Ministère de l’écologie. La loi de finances de 2020 nous réservera peut-être quelques bonnes surprises aussi.
On peut raisonnablement espérer à court terme une modification des règles d’urbanisme et mesures fiscales pour favoriser le renouvellement urbain et la densification de l’habitat, mais aussi pour faciliter la renaturation des espaces artificialisés laissés à l’abandon, pour densifier davantage les nouvelles constructions, ou encore pour décourager toutes constructions en milieu naturel. Plusieurs travaux que nous soutenons considèrent que la fixation de densités de construction minimales dans les PLU et l’abandon des politiques de soutien au logement neuf hors zones déjà artificialisées sont des mesures qui pourraient voir rapidement le jour et auraient une réelle efficacité.
Cet objectif deviendra-t-il selon vous contraignant (en France et/ou en Europe) ? Et si oui, à quelle échéance ?
Une impulsion au niveau européen et les engagements pris lors de la prochaine COP15 sur la Convention pour la biodiversité en Chine fin 2020, devraient permettre d’accélérer la mise en œuvre d’un plan d’action comprenant des mesures réglementaires contraignantes mais également des mesures fiscales incitatives et d’autres dissuasives.
Aussi si l’échéance la plus probable reste celle de 2050, puisque proposée par l’Union Européenne, il est nécessaire d’avoir une étape intermédiaire à 2030. Dès 2020, l’Etat devrait annoncer et engager un plan d’action avec les moyens les plus efficaces pour freiner l’artificialisation mais aussi les dispositifs incitant mieux à la renaturation.
Quel est le rôle à jouer des Collectivités territoriales dans ce cadre ? Quel est le rôle à jouer de l’Etat ?
L’Etat doit fournir un cadre réglementaire, économique et fiscal nécessaire pour que les collectivités puissent mettre en place une politique efficace de lutte contre l’artificialisation des sols. Ce cadre devra inclure plusieurs points. D’abord, il nous semble nécessaire d’entamer dès aujourd’hui l’évaluation des outils existants afin de connaître leur application et les conséquences de cette application. Par exemple, les collectivités peuvent déjà mettre en place le versement pour sous-densité ou moduler la taxe d’aménagement en fonction de certains secteurs. Aujourd’hui, nous avons très peu voire pas de données sur l’application de ces outils. Ensuite, il s’agit de mettre en place ou d’améliorer les outils du code de l’urbanisme existants. Enfin, nous prônons la mise en place d’une fiscalité adaptée qui permette notamment de ne pas pénaliser les détenteurs d’espaces naturels et de pouvoir protéger le maximum d’espaces de l’artificialisation.
Les collectivités ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l’artificialisation, notamment par le biais de leur outil de planification (PLU et SCoT). Les maires délivrant les permis de construire ont une réelle responsabilité quant aux choix d’aménagements dans leur commune.
Et il faudra fournir des clés de compréhension du phénomène et des enjeux liés à l’artificialisation aux collectivités locales. En effet, les élus peuvent être soumis à de fortes pressions et se sentir démunis face à la complexité du sujet. Il nous semble important d’accompagner les élus dans leurs différentes démarches.
Les acteurs privés commencent-ils à prendre la mesure de cet enjeu ?
Il semble en effet que de plus en plus d’acteurs privés commencent à s’intéresser à cette problématique, qui représente un enjeu et de réels changements pour leur secteur d’activité. Beaucoup de secteurs économiques peuvent contribuer à réduire leur impact sur les sols et la biodiversité : la construction, le BTP, le commerce, la logistique, mais également les secteurs de l’énergie (par la rénovation).
Selon vous, comment la lutte contre l’artificialisation va-t-elle transformer les secteurs d’activités les plus concernés ?
Je vous répondrais que nous avons conscience que cet objectif peut de prime abord être considéré par certains secteurs économiques comme une contrainte ou une difficulté mais que nous avons la conviction qu’il peut aussi constituer une réelle opportunité dès lors que les changements qu’il suppose sont anticipés. Ces changements doivent être réfléchis dans des stratégies d’entreprises revisitées et intégrant pleinement les enjeux environnementaux. Par exemple pour le secteur de la construction d’habitations qui privilégiait le neuf en périphérie des villes, il serait intéressant pour lui de réfléchir et développer des activités de réhabilitation de locaux, de privilégier la construction sur des surfaces déjà artificialisées, la rénovation, etc.
Il y a un autre point sur lequel nous souhaitons attirer l’attention : l’objectif de zéro artificialisation nette suppose que lorsqu’un espace naturel, agricole ou forestier est artificialisé, il faudra qu’un autre espace soit rendu à la nature, ou à l’agriculture ou la forêt. Il s’agira donc de « renaturaliser » un espace artificialisé. Il est important de souligner que d’une part, les coûts de « renaturalisation » sont extrêmement excessifs, et d’autre part, garder en tête qu’un espace ou un habitat qui a 100 ans n’a pas la même valeur écologique qu’un habitat compensé, même si la compensation est exemplaire. L’équivalence écologique reste complexe à atteindre. Il s’agit donc d’abandonner l’idée que la compensation permettra de pouvoir détruire sans se poser trop de questions. La priorité doit rester l’évitement.